LEMONDE.FR
16.09.11
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Mais cela n'a rien d'un miracle. Si l'Alfama, et la majorité des quartiers historiques de Lisbonne et de Porto sont encore populaires, c'est que les loyers y sont bloqués, parfois depuis cent ans.
Maria-Elena Carvalho, une retraitée de la fonction publique âgée de 65 ans, paye 81 euros par mois pour son appartement de 100 mètres carrés au centre de Lisbonne. "Je suis arrivée ici en 1947 à l'âge de 3 mois. C'est ici que je me suis mariée, ici que ma mère est morte et que mes enfants sont nés, raconte-t-elle. Cet appartement, c'est toute ma vie." Et pour cause, jusqu'en 1990, l'autre caractéristique des baux portugais était d'être éternels et héréditaires. Avec ce genre de loyers symboliques, difficile d'exiger du propriétaire qu'il fasse des travaux. "Pendant longtemps, je n'ai pas eu d'eau dans ma salle de bains, se plaint Maria-Elena de Carvalho. J'ai demandé au propriétaire de régler le problème. Il m'a répondu qu'a 80 centimes le mètre carré, il ne fallait même pas que j'y pense."
La conséquence du gel des loyers est que le rendement immobilier a été peu a peu rongé par l’inflation. Les propriétaires ont cessé d’avoir les fonds nécessaires pour maintenir les immeubles en condition", confirme Pedro Sarraga-Leal, avocat lisboète spécialisé en droit immobilier. C'est sur ce compte qu'il faut mettre l'état lamentable du parc immobilier ancien à Lisbonne. Selon la mairie, plus de 11 000 immeubles, sur les 55 000 que comptent la ville, sont abandonnés, en ruine ou en très mauvais état. "Le gel des loyers à Lisbonne est un cas d'école de destruction d'une ville sans bombardement", a même écrit, un peu hyperbolique, un journaliste du site Global Property Guide l'année dernière.
Pas étonnant, donc, qu'en échange du plan de sauvetage de 78 milliards d'euros sur trois ans, débloqué par la "troïka" (FMI, BCE, Commission européenne), le Portugal se soit engagé, entre autres mesures drastiques, à modifier en profondeur les lois qui régissent le marché de la location.
Reste que si ces mesures sont appliquées de façon étendue, les conséquences sociales pour le Portugal pourraient être drastiques. La possibilité de signer des baux éternels ayant disparu en 1990, un grand nombre de locataires payant des loyers symboliques ont plus de 60 ans. Chez eux, la peur de l'expulsion est palpable. "Je comprends la position des propriétaires, affirme Maria-Elena Carvalho, et je veux bien que mon loyer augmente un petit peu. Mais je ne pourrai pas payer le double ou le triple. Je devrai partir. Et où pourrai-je aller?"