Le Monde 06/02/2013
Pour Elisa, pimpante juriste parisienne, le choc est rude : à 31 ans, elle vient de quitter le quartier branché du Marais pour réintégrer... sa chambre d'adolescente couleur pastel. Un aller simple Paris-banlieue sud pris "par obligation". "A la suite de la perte de mon emploi, dit-elle, suivie d'une séparation il y a trois mois. Mes parents sont compréhensifs, j'ai de la chance, mais je n'aurais jamais imaginé vivre cela à mon âge." Sentiment similaire pour Tadeu, avocat qui vient de fêter ses 31 ans chez ses parents à Taubaté, dans l'Etat de Sao Paulo, au Brésil. Ou pour la Mexicaine Claudia, 40 ans, divorcée et sans emploi, qui vit depuis trois ans dans l'appartement familial de Jiutepec avec son frère de 41 ans, également au chômage. Ou encore pour Anastasie, professeure grecque de 28 ans, qui cohabite désormais à Athènes avec son frère et sa soeur.
Baptisés génération "boomerang", "kangourou", "hôtel Mama", "nidicole" (espèce dont les petits naissent incapables de se nourrir et de se déplacer seuls) ou "célibataires parasites" par des faiseurs de formules de tous les continents, il ne s'agit pourtant pas d'une énième génération Tanguy (notre symbole tricolore, en référence au film d'Etienne Chatiliez sorti en 2001), représentant de jeunes velléitaires désireux de se faire cocooner le plus longtemps possible.
"Le syndrome est majoritairement subi et s'explique par des raisons économiques", analyse la sociologue Cécile Van de Velde, spécialiste de la jeunesse à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) : envolée du chômage des jeunes, augmentation du coût des études, hausse des prix immobiliers, accélération des divorces et des séparations, pression professionnelle accrue (flexibilité subie, baisse de salaires), etc. "Ces 25-34 ans n'arrivent pas, alors qu'ils le désirent, à acquérir ou à conserver leur indépendance."
Cette situation dans les pays développés est liée "en bonne partie à une mécanique d'écrasement économique des jeunes par les vieux qui ont accaparé la richesse du patrimoine immobilier, analyse l'historien et sociologue Emmanuel Todd. Ce sont les sociétés en déclin qui font cela. Paradoxe des pays développés, non seulement ils ont moins d'enfants, mais les enfants sont désavantagés sur le marché mondial".
Cela entraîne, selon Emmanuel Todd, "un déterminisme social encore plus accru, car les jeunes deviennent très dépendants de leurs familles". Camille Peugny, sociologue auteur du livre Le Déclassement (Grasset, 2009), évoquant la panne d'ascenseur social pour les jeunes générations, abonde dans ce sens : "Tout ce qui fait reposer la situation sur la famille est le système le plus injuste et le plus inégalitaire qui soit. Le fait que les Etats se défaussent sur les familles ne peut avoir qu'un temps. C'est devenu un problème de société majeur."