Pour en finir avec les fantasmes, notamment de ceux qui n'y connaissent rien (juridiquement et sur le terrain) les travaux parlementaires sont à consulter, je m'en limite à ce qui suit (texte non encore définitif, complètera qui veut):
Présidence de M. François Brottes, Président
Article 29 : Sécurisation des projets de construction
La commission aborde l’amendement SPE1387 de Mme Michèle Bonneton.
Mme Michèle Bonneton. L’article 29 remet en cause l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, modifié par une ordonnance de 2005. Aux termes des dispositions proposées, les bâtiments construits illégalement, dont le permis aura été annulé par la juridiction compétente, ne pourront plus faire l’objet de démolition sauf dans certaines zones protégées : les rives des plans d’eau, les espaces caractéristiques du patrimoine naturel et culturel, le cœur des parcs nationaux, les réserves naturelles, les sites désignés Natura 2000 et les zones figurant dans les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) ou naturels. Sur une très grande partie du territoire – y compris dans les parcs naturels régionaux et les aires d’adhésion des parcs naturels nationaux –, la démolition ne sera plus possible. Dans sa rédaction actuelle, l’article fait obstacle à une action en démolition d’une construction dont le permis est annulé en raison de sa localisation dans les espaces agricoles, naturels ou forestiers ou pour non-respect des distances d’éloignement des bâtiments agricoles ou forestiers.
Il s’agit d’un recul important par rapport aux travaux que nous avons menés sous cette législature pour lutter notamment contre l’artificialisation des sols. Nous y voyons surtout un gage donné aux constructeurs peu soucieux de l’environnement qui bénéficient de la complicité de personnes mal informées leur délivrant des permis de construire litigieux, ensuite annulés. L’article encourage ces bâtisseurs illégaux à aller vite en besogne puisqu’une fois la construction achevée, on ne pourra plus la faire démolir ; c’est une véritable incitation à ne pas respecter le droit.
Autre perversion de cet article : puisqu’on ne pourra plus faire démolir, les auteurs des recours demanderont probablement des indemnités, comme le prévoit l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme. Et ils ne manqueront pas de se retourner vers les élus locaux qui ont signé le permis, générant une insécurité pour ces derniers.
Autant de raisons pour lesquelles nous proposons la suppression de l’article 29.
M. le président François Brottes. Expliquée ainsi, cette disposition autorise tous les fantasmes... Mme Bonneton lit-elle le texte tel qu’il est ?
M. le ministre. Madame Bonneton, contrairement à certains de vos collègues, vous m’aviez épargné jusqu’à présent les insinuations désagréables et un tantinet déplacées ; je me sens obligé de vous donner quelques éclaircissements.
Cet article n’est le fruit ni du hasard ni du mouvement spontané des ministères compétents, mais des propositions présentées le 30 octobre dernier par le Conseil de la simplification, coprésidé par M. Laurent Grandguillaume. Il fait suite au travail mené par M. Daniel Labetoulle, ancien président de la section du contentieux du Conseil d’État, qui s’est longuement concerté avec tous les partenaires du secteur : acteurs du logement, représentants d’élus, associations. Certes, je ne suis pas élu local, mais vous pourrez peut-être corroborer les conclusions de ce groupe de travail : en matière de logement, les risques de démolition constituent aujourd’hui une épée de Damoclès excessive. La mesure proposée vise à recentrer la démolition sur les cas où elle est indispensable, à savoir les constructions sans permis et les zones protégées, le référé suspension restant par ailleurs possible dans tous les cas.
Aujourd’hui, lorsqu’on détient un permis de construire, si la décision est jugée illégale, le risque d’action en démolition peut perdurer quatre à cinq années, gelant tous les projets. Nous proposons de restreindre, dans le droit commun, ce risque aux constructions sans permis et aux zones protégées, qui continueront d’être régies par la loi actuelle ; hors de ces cas, nous rendons la règle moins pénalisante. Mais cet article, madame Bonneton, ne remet pas en cause le référé suspension des travaux, ni la possibilité de démolition sur d’autres fondements tels que le trouble du voisinage ou le droit pénal. Il s’agit d’une simplification qui préserve les intérêts essentiels des tiers, sans l’effet paralysant de la règle actuelle.
M. Christophe Castaner, rapporteur thématique. Les élus locaux de notre groupe – certains d’entre nous le sont encore, au risque de se voir reprocher de cumuler les mandats – livrent une double expérience : l’effet paralysant des actions en démolition, mais également la rareté de ces dernières, due notamment à la longueur des délais. La proposition consiste à lier la réalité de la pratique du droit avec le cadre légal.
Plus attaché à la prévention qu’à la répression, je suis convaincu que c’est dans l’anticipation que nous trouverons des solutions, le référé suspension constituant la mesure la plus efficace pour éviter ce type de désordres. Préserver le principe de la démolition dans toutes les zones à enjeu – parcs nationaux, zones inondables, etc. – me semble indispensable. Partout ailleurs, la sanction pénale – y compris indemnitaire – n’est pas non plus écartée, mais la mesure proposée évitera l’effet paralysant d’une action en démolition qui ne diminue d’ailleurs pas pour autant le nombre d’infractions que les maires constatent dans leurs communes. Cela permettra de démarrer des projets purgés des recours sérieux, sans les laisser suspendus à des recours dilatoires ou de mauvaise foi.
M. le président François Brottes. Les zones inconstructibles, où se nichent souvent les abus, font-elles partie de la liste des espaces où l’on pourra continuer à démolir ?
Mme Karine Berger. Je suis également étonnée de ne trouver dans la liste ni les zones inconstructibles, ni les parcs naturels régionaux. Nous venons d’obtenir la validation du parc régional des Baronnies et il serait troublant que ce statut n’autorise aucun recours en cas de problème. Le rapporteur thématique a raison de souligner que la démolition reste rare en pratique ; mais c’est précisément l’existence du recours juridique qui assure le respect des règles. Si l’on enlève cette possibilité, qu’est-ce qui empêchera les mauvais esprits d’aller au bout de leur démarche ou d’ignorer les pénalités ? Cet article m’étonne. En quoi simplifie-t-il les règles ? Combien de cas concrets concerne-t-il – par exemple au cours de la dernière année ? Pourquoi certaines zones ne figurent-elles pas dans la liste ? Il est en tout cas indispensable d’y inclure les zones de montagne.
M. Jean-Louis Roumegas. Je conçois l’effet pervers de la menace de démolition qui conduirait certains projets parfaitement légaux à être abandonnés – même s’il faut probablement vérifier l’importance du phénomène. La bonne solution consiste alors à simplifier et à accélérer les procédures, notamment celles d’instruction. Mais vous jetez le bébé avec l’eau du bain, remplaçant un effet pervers par un autre, plus pervers encore, puisqu’aux termes de cet article, une fois la menace de démolition levée, même des projets qui ne pouvaient pas passer l’épreuve de légalité sont encouragés à aller jusqu’au bout.
Voici l’avis du service juridique d’une fédération de défense de l’environnement, France Nature Environnement : « Cet article est un véritable scandale et doit absolument être supprimé. Le message adressé est catastrophique : “Pour construire en violant les règles d’urbanisme, privilégiez le passage en force, une fois la construction réalisée, plus personne ne pourra s’y opposer.” ; c’est tout le contraire de l’État de droit, c’est la politique du fait accompli, une stérilisation du droit d’accès à la justice, en totale contradiction avec le discours de François Hollande. ». Le remède que vous proposez est réellement pire que le mal qu’il est censé combattre.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le dispositif proposé modifie l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, tel qu’issu de l’ordonnance du 8 décembre 2005, entrée en vigueur en 2007. Pour contraindre le propriétaire à la démolition – et le constructeur aux dommages et intérêts –, il faut d’abord obtenir l’annulation du permis de construire pour excès de pouvoir. À partir de là, on dispose d’un délai de deux ans pour engager l’action en démolition. Le dispositif proposé introduit une dualité de situations qui m’apparaît complexe et anachronique : la juridiction administrative pourra toujours annuler le permis de construire pour l’ensemble des constructions jugées irrégulières, sur tous les territoires, mais la procédure en démolition – qui doit être prononcée dans le délai de deux ans par une juridiction de l’ordre judiciaire – ne pourra concerner qu’une partie seulement de ce qui aura été déclaré illégal. Quelle sera la sanction de l’annulation du permis par une juridiction administrative dès lors que l’on supprime la possibilité de rétablissement en l’état ? Pour les constructions situées en dehors des zones protégées, nous ferons face à une impossibilité manifeste de donner une suite concrète et réelle à la décision administrative d’annulation pour excès de pouvoir, ce qui la rendra totalement inefficace.
Mme Michèle Bonneton. Monsieur le président, plutôt que de fantasmes, il s’agit d’arguments ! Quant aux insinuations, ce n’est pas mon habitude, mais je présente mes excuses à ceux que j’ai pu offusquer. Certes, les démolitions sont rares, mais l’existence de cette possibilité est dissuasive et joue un rôle de prévention – principe cher aux écologistes. En encourageant la politique du fait accompli, cet article est très dommageable pour l’état d’esprit général de respect de l’État de droit, dont on ressent aujourd’hui plus que jamais le besoin.
M. Jean-Yves Caullet. Voici ce qui semble ressortir des explications apportées : pour les zones protégées – auxquelles il serait effectivement prudent d’ajouter les zones inconstructibles –, le nouveau dispositif ne changera rien. Pour les autres, si j’ai bien compris, le tribunal administratif, quand il décidera de l’illégalité du permis, pourra ou non l’assortir de mesures amenant à la démolition, mais le juge judiciaire ne pourra plus le faire pendant le délai de deux ans qui suit. Pourtant, le recours au référé reste possible... Compte tenu de la complexité du sujet, je demande une suspension de séance.
(Suspension des travaux)
M. le président François Brottes. Le rapporteur est en train de rédiger un nouvel amendement sur ce sujet. En attendant, continuons le débat sur les articles suivants.
M. Jean-Louis Roumegas. Sage décision, surtout si elle permet aux parlementaires de limiter les dégâts initialement prévus !
M. le président François Brottes. Le Parlement ne limite pas les dégâts, monsieur Roumegas, il fait son travail de proposition. J’ai toujours trouvé cette expression un peu pénible : est-ce à dire qu’il ne devrait y avoir que des décrets, des circulaires et des ordonnances ?