Voilà trois ans, depuis le printemps 2014, que les ventes de logements en France font preuve d’un formidable dynamisme. Et ce, quels que soient les obstacles dénoncés à grands cris par la profession : complexités de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), hausse des droits de mutation et, récemment, la légère augmentation du coût du crédit.
Lundi 26 juin, le réseau Century 21 annonce avoir bouclé son premier semestre sur une augmentation de 11 % du nombre de transactions, comparé aux six premiers mois de 2016, qui était déjà un record. « Tous les indicateurs confirment la bonne santé du marché immobilier en France, explique Laurent Vimont, son président. Le délai moyen de vente s’est légèrement raccourci à quatre-vingt-quatorze jours. Les acheteurs profitent des taux de crédit encore favorables pour acquérir quelques mètres carrés [m2] supplémentaires, en moyenne 86,3 m2 contre 84,7 en 2016. La part des 30-40 ans progresse. Ils représentent 27,4 % des acheteurs, soit une hausse de 5,8 % en un an. Et, en même temps, les prix ne s’emballent pas, avec une progression contenue de 1,5 %. »
Mais, à Paris, c’est une autre histoire. Les prix crèvent tous les plafonds. Le mètre carré a dépassé les 9 000 euros au deuxième trimestre. Il atteint 8 942 euros en moyenne au premier semestre. Soit 7,7 % de plus en une seule année et plus du triple par rapport à 2000. « C’est énorme, commente M. Vimont. Paris, avec un montant moyen d’achat de 446 982 euros, devient une ville exclusive, réservée aux cadres supérieurs et professions libérales, qui représentent désormais 46 % des acquéreurs, soit 10 points de plus qu’en 2009. Dans le même temps, la part des ouvriers et employés a été divisée par deux, passant de 13,9 % à 6,8 %. »
« D’enfer fiscal à jardin d’Eden »
On retrouve, dans la capitale, la surchauffe des années 2005 à 2009, avec des appartements qui se vendent en un temps record, le délai moyen étant de cinquante-huit jours, soit huit de moins qu’il y a un an. Certains acquéreurs ne prennent même pas le temps de les visiter. « Ces prix délirants découragent tout de même des acheteurs, poursuit Laurent Vimont. Nous constatons un léger recul de l’activité, de 3 %, et une réduction de la surface moyenne achetée, passée de 53 m2 à 51 m2 : deux mètres carrés de moins en un an, c’est beaucoup. » Dans les Hauts-de-Seine, toujours à la remorque de Paris, le nombre de ventes recule de 6,4 % en un an, quand le prix moyen du mètre carré flambe de 8,9 %.
Parmi les explications de cette fièvre parisienne, citons, bien sûr, la faiblesse de la construction dans cet espace contraint, mais aussi le retour, en France, de riches expatriés venus de Londres – jeunes actifs, créateurs de start-up, traders, entrepreneurs – ou de Bruxelles. Trois événements politiques, le Brexit et les élections de Donald Trump et d’Emmanuel Macron, ont, à eux seuls, changé l’image de la France et de Paris. « Jusqu’ici décrite comme un enfer fiscal, la France serait devenue un jardin d’Eden, résume Charles-Marie Jottras, président du réseau d’agences d’immobilier de haut de gamme Daniel Féau. On a vu, en début d’année, des acquéreurs britanniques insérer, dans leur promesse d’achat d’un appartement à Paris, des clauses suspensives en cas de présence de deux candidats populistes au second tour de l’élection présidentielle française. »
C’est ce que confirme l’étude du site Lux Résidence, spécialiste de l’immobilier de prestige (plus de 1 million d’euros le bien), publiée vendredi 23 juin : « La France a réintégré le Top 3 des destinations attrayantes, derrière le Portugal et l’Espagne, alors qu’elle était cinquième il y a un an », commente Séverine Amate, auteure de cette étude.
« Grave pénurie de logements familiaux »
« A Paris, nous connaissons une grave pénurie de logements familiaux. Deux fois moins nombreux, leurs prix ont grimpé de 10 % à 15 %, constate M. Jottras. Les appartements bourgeois classiques, de 120 m2 à 150 m2, avec trois chambres, se vendent en quelques jours à des familles françaises qui recherchent, par exemple, les bonnes écoles des quartiers Auteuil ou Victor-Hugo. Cette clientèle est en hausse de 15 % par rapport à 2016 et fait monter les prix de 10,5 %. » L’agence Barnes atteste la même tendance pour Neuilly (Hauts-de-Seine), appréciée elle aussi des familles aisées, avec une hausse des ventes de 25 % en un an.
Le subit intérêt des fortunes étrangères se porte sur des biens de plus de 2 millions d’euros : « Les Américains regardent de nouveau vers Paris. S’ils restent prudents à cause des attentats, ils se convainquent qu’Emmanuel Macron va sauver le monde », ironise Marie-Hélène Lundgreen, directrice de Belles Demeures.
La France des résidences secondaires dans la léthargie
Selon les notaires, les acquisitions par des non-résidents, français ou étrangers, ne concernent que 5 % des 40 000 transactions annuelles à Paris, mais leur survalorisation a un effet contagieux sur toute la capitale : « Ceux qui ne peuvent plus se payer Saint-Germain-des-Prés s’en vont dans le Marais, de là, dans le Haut-Marais, puis le 9e arrondissement, que certains voient déjà comme un autre Marais… », décrit Nicolas Pettex-Muffat, directeur général de Daniel Féau.
La France des résidences secondaires, hors littoral, et celle des châteaux et manoirs reste, elle, plongée dans sa léthargie : « Il n’est pas rare de mettre quatre, cinq ou dix ans à vendre ce patrimoine exceptionnel, qui n’intéresse que les passionnés de vieilles pierres », confie Patrice Besse, agent immobilier spécialisé, qui s’est tout de même résolu à compléter son activité, en ouvrant une agence à Paris grâce à laquelle il réalise, en quelques mois, la moitié de son chiffre d’affaires. « Ici, le métier est d’une facilité déconcertante, presque indécente. »