Depuis le temps que je le dis.Mal-logement, loyers élevés, dépenses de logement insupportables: que disent vraiment les statistiques?
L'opinion couramment répandue est que la France traverse une crise profonde du logement qui fait supporter aux ménages des dépenses de logement trop élevées. Celles-ci pèseraient sur la compétitivité, notamment vis-à-vis de l'Allemagne. Ceci est largement inexact. Certains chiffres avancés sont erronés et d'autres font l'objet d'une mauvaise interprétation.
Il est inexact que le poids du logement dans le budget des ménages soit plus élevé en France qu'en Allemagne. La situation est inverse. Selon Eurostat, qui seul fournit des données comparables entre les pays européens, le taux d'effort net moyen de l'ensemble des ménages en 2012 et de 17,9% en France contre 27,9% en Allemagne.
Le taux d'effort médian (en-dessous duquel se trouvent la moitié des ménages) est de 12,4% en France contre 22,3% en Allemagne. Ce phénomène est dû principalement à la répartition selon les statuts : plus de propriétaires non accédants et de locataires HLM en France, moins en Allemagne. Pour les seuls locataires, les taux d'effort moyens sont rigoureusement identiques à 22,6%. Ce n'est donc pas le poids du logement qui handicape la compétitivité de la France.
L'erreur provient sous doute pour la France de la confusion entre la notion de consommation de logement qui inclut les loyers imputés des propriétaires occupants mais exclut les annuités d'emprunt, et la notion de dépenses de logement qui sont les sorties monétaires consacrées au logement, loyers et annuités.
SITUATIONS HÉTÉROGÈNES
Deuxièmement, les situations en matière de logement sont hétérogènes et on peut toujours faire apparaître des situations exceptionnelles. Par exemple, on lit qu'un locataire du secteur privé sur 5 consacre plus de 40% de son revenu à son logement. En fait, Eurostat indique qu'il s'agit de 16,2% de ces locataires qui représentent eux-mêmes 20% des ménages.
Ces locataires en surcharge de coût du logement représentent donc 3,2% de l'ensemble des ménages. Tous statuts confondus le taux de ménages en surcharge de coût du logement est en France de 5,2%. C'est un des plus faibles d'Europe. Les taux les plus élevés sont, ceux de la Grèce, puis du Danemark, et de l'Allemagne avec 16,6%. Les dépenses de logement excessives ne concernent donc en France qu'un très petit nombre de ménages. On peut se demander pourquoi les aides personnelles ne les solvabilisent pas suffisamment.
Y a-t-il néanmoins déficit de logements ? Le doublement des prix depuis la fin des années 1990 pourrait le faire croire. En réalité, s'il y avait déficit, il se serait d'abord manifesté sur le marché locatif. En effet, on ne peut pas nécessairement acheter plutôt que de louer, mais on peut toujours louer plutôt qu'acheter.
AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE LOGEMENT
S'il y avait déficit sur le marché locatif, il aurait entraîné une augmentation du prix des loyers comparable à celle du prix des logements. Or rien de tel ne s'est produit. Le prix des loyers dans l'indice des prix à la consommation n'a augmenté que 6,5 points de plus que l'inflation depuis 15 ans, traduisant une légère tension sur le marché locatif. Cette tension est un peu plus accentuée dans les grandes agglomérations. Le phénomène marquant des 15 dernières années est précisément la distorsion entre l'évolution des loyers et celle des prix. Elle est due à l'évolution des variables financières.
Le prix des loyers a augmenté moins vite que les revenus, ce qui a permis de dégager du pouvoir d'achat locatif, près de 20% de plus depuis 1998. Qu'en a fait la population ? Elle a consommé davantage de logement, en particulier en nombre, en se fragmentant en un plus grand nombre de ménages, donc de logements, puisqu'un ménage correspond à un logement.
C'est ce qui explique que la dépense par ménage ait un peu augmenté. Mais cela a permis une amélioration substantielle des conditions de logement, notamment en termes de surface moyenne par personne.
UN MILLION DE PERSONNES MAL-LOGÉES
Il reste des ménages mal-logés. Leur nombre dépend de la définition qu'on en donne. Qu'il s'agisse de 800000 ou un million de personnes, (et non pas de ménages), peut-on pour autant en conclure qu'il manque autant de logements quand on sait que 2,3 millions de logements sont vacants (hors résidences secondaires) ?
La question des mal-logés pose plutôt le problème de l'efficacité des 45 milliards d'euros d'aides au logement qui bénéficient à pas loin d'un ménage sur 2. En réalité peut-on s'étonner qu'il existe des laissés pour compte du logement quand on détruit des dizaines de milliers de logements HLM chaque année, quand 20% des logements HLM sont occupés par des ménages au-dessus du revenu médian, et quand l'union des organismes HLM «refuse l'idée de spécialiser le parc social dans l'accueil exclusif des plus pauvres et des plus démunis » (site internet USH), alors que sa vocation sociale est inscrite dans les textes ?
Avec plus d'un logement pour 2 personnes, la situation actuelle du marché du logement est plutôt celle d'un risque de surinvestissement, déjà avéré dans certaines zones. Il n'est donc pas nécessaire de construire 500000 logements par an. La poursuite du rythme de construction tendanciel à 3200000 logements par an suffit. Finalement les aides publique au logement pourraient être allégées, ce qui serait par ailleurs favorable au redressement des comptes publics.
http://www.lemonde.fr/idees/article/201 ... _3232.html
La vérité ne va pas être facile à admettre pour certains.