Je m'attendais à une décision de non-conformité, comme sans doute la Cour de cassation, comme elles portent sérieusement atteinte au droit de propriété (art. 2 de la DDHC de 1789: elle appartient à ces droits naturels et imprescriptibles de l'homme qui fonderaient "toute association politique", or c'est le contraire qui s'est produit!"3. Les requérants reprochent à ces dispositions de priver le bailleur du droit de reprendre son logement dans le cas où l’état du marché locatif le placerait dans l’impossibilité de proposer à son locataire un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités et situé dans un périmètre géographique déterminé. Il en résulterait une méconnaissance du droit de propriété."
J'en comprends certes la raison, qui est sociale et sur le plan humain, du seul côté locataires, légitime. Décision n° 2023-1050 QPC du 26 mai 2023:
Il a certes reconnu (considérant 11) que :"19. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution."
Mais il a ensuite justifié cette atteinte par une série de considérants relevant du bricolage, sauf au considérant 12 qui se place sur le terrain légitime de l'équilibre avec d'autres droits à valeur constitutionnelle:"En limitant le droit du bailleur de donner congé à son locataire à l’expiration du contrat, ces dispositions portent atteinte au droit de propriété."
Pour le reste:"Les dispositions contestées mettent ainsi en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent." Ce afin de "protéger les locataires âgés et disposant de faibles ressources contre le risque de devoir quitter leur résidence principale et d’avoir à se reloger en l’absence de renouvellement du bail".
- il y a un seuil d'âge (65 ans, qui sera bientôt celui de non-retraités ) et de revenus (considérant 13).
- au considérant 14 le Conseil constitutionnel passe en revue les dispositions qui élargissent le périmètre ouvert au relogement, mais qui ne valent que pour les métropoles avec des arrondissements, ou pour les villes dotées de plusieurs cantons, soit une petite minorité des communes.
Quid des autres communes? Ben c'est simple:
Or je connais un cas, non unique bien entendu, où il ne s'agit pas de "difficultés pratiques" mais, rigoureusement, d'une stricte impossibilité. A 500 m une locataire va pouvoir empêcher la vente de la maison assez récente louée (sauf évidente et grosse décote, étant donné le montant du loyer, ce qui touche bel et bien au droit de propriété) car la commune limitrophe n'a rien à louer, sauf 1 ou 2 biens à 11 km de là qui ne sont ni des maisons, ni dans la même gamme de prix."Dans les autres cas, il peut être situé sur le territoire de la même commune mais aussi d’une commune limitrophe, sans pouvoir être éloigné de plus de cinq kilomètres."
Cette approche irréaliste permet au Conseil constitutionnel, sans doute aidé par des avocats aux Conseils (forcément parisiens) n'ayant aucune idée des réalités rurales, cette conclusion vigoureuse:
Ah bon, s'il le dit..."15. Les difficultés pratiques que pourrait rencontrer le bailleur pour formuler une offre de relogement situé dans ce périmètre n’entachent pas, par elles-mêmes, d’inconstitutionnalité les dispositions contestées."
Le Conseil constitutionnel doute peut-être un peu de son raisonnement car il ajoute, ce qui ne serait pas nécessaire s'il s'en était tenu à un raisonnement de pur droit au lieu du terrain "pratique", afin de tempérer l'injustice possible de sa décision:
-
(considérant 16)"cette obligation n’est pas applicable lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante-cinq ans ou lorsque ses ressources annuelles sont inférieures au même plafond que celui fixé pour les locataires"
-
"le bailleur, qui conserve évidemment la possibilité de vendre son bien* ou d’en percevoir un loyer**, dispose, en outre, en cas de manquement du locataire à ses obligations, de la faculté de l’assigner en résiliation du bail et en expulsion***"
* mais avec un prix bien inférieur au marché?
** sans doute trop faible pour qu'on en arrive à la volonté de sortir de cette location?
*** ce qui lui sera facile, rapide, et sans frais, comme chacun le sait?
J'attire l'attention sur le considérant 8, habituel, qui reprend le raisonnement qui permet au Conseil constitutionnel (ou au Conseil d’État, qui fournit au CC l'essentiel de sa main d’œuvre), vous pouvez remplacer tel droit par telle liberté, ou par l'égalité etc. c'est merveilleux car comme cette cuisine est jugée comme on a décidé de le faire on en arrive ainsi à tout justifier:
Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État* s'en sont beaucoup servi avec l'épidémie de COVID, aidés par des avis "scientifiques" dont la fragilité n'est apparue que par la suite pour les moins vigilants."Il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi."
* dans une étude remarquable de B. Latour on y voit avouer qu'on cherche en fait, dans tel cas, à "arranger" les choses pour le pouvoir. Ce qui est généralement possible.
Bilan:
- il est possible que les bailleurs manquent d'enthousiasme pour loger des gens approchant des 65 ans avec de faibles revenus, et se détournent des plus de 65 ans: désormais les dispositions sont gravées dans le marbre, sauf loi contraire (que le Conseil constitutionnel pourrait du reste retoquer, du coup, sur cette jurisprudence);
- il ne resterait guère à cette catégorie que le logement social, en attendant les mouroirs des EHPAD.
- cela peut avoir un effet sur l'achat immobilier mais faible et peu prévisible: ces locataires sont souvent ceux des passoires thermiques, ils ne peuvent guère se tourner vers l'achat (effet haussier sinon), sauf loin des villes, et si les bailleurs se détournent de ce marché locatif ils ne vendront pas forcément mais chercheront des locataires plus jeunes.
- il y a pas mal de monde ici qui approche des âges en cause, depuis le temps, mais comme le site est devenu celui de propriétaires ça ne va pas inquiéter grand monde.
NB:
1- Commentaire & Dossier documentaire non encore disponibles sur le site du Conseil constitutionnel.
2- Mon texte étant long, ne citez que les passages que vous commentez effectivement. Sinon ça va prendre trop de place.
3- Une autre QPC sera bientôt jugée en matière immobilière encore, la saisine est ici (mais le texte posera problème si on est découragé par toute phrase dépassant le cadre sujet-verbe-complément):
https://www.conseil-constitutionnel.fr/ ... necass.pdf