#4
Message
par Jean Dupont » 29 déc. 2005, 09:08
Bonjour bienjoué,
Merci pour ce dossier. Nous nous sommes posé la question de la lisibilité de la politique du gouvernement sur un autre fil, je tente une réponse ici. J’essayerai par la suite de contribuer à l’élaboration du dossier de ce fil.
La politique du gouvernement n’est pas si claire qu’il n’y parait. Je vais essayer d’en faire la démonstration.
Dans un premier temps, je souhaite rappeler que la BCE est censée être indépendante de toute influence politique, que sa mission principale tourne autour de la monnaie et de la stabilité des prix. Or, on a montré sur ce forum qu’il pouvait y avoir collusion entre intérêts économiques (qui relèvent des politiques nationales) et intérêts monétaires, d’une part. Et d’autre part, on n’a pas vraiment de doute sur les luttes d’influences entre tous les pays de l’Union pour que la politique monétaire de la BCE serve leurs intérêts particuliers. En effet, un pays fortement exportateur a de bonne raison pour que le couple Euro/Dollar baisse pour renforcer sa compétitivité. Pour un pays avec un déséquilibre de la balance commerciale souhaitera le contraire pour pouvoir « consommer » le moins cher possible.
Ensuite, je voudrais mettre en évidence 2 phénomènes que j’appellerais : la glasnost et la fronde populaire.
La glasnost, devenue célèbre grâce à Mikhaïl Gorbatchev, m’a longtemps fait réfléchir. Je l’ai vu appliquée dans plusieurs entreprises pour lesquelles j’ai travaillé et jusqu’à ce que je comprenne de quoi il s’agissait réellement, mon petit esprit cartésien avait du mal à s’adapter à ce « mensonge permanent ». J’ai finalement compris que la « transparence » n’était pas du tout la « mise à disposition de la vérité » mais « l’organisation de la communication officielle d’une entité sociale ». Donc, contrairement à ce qu’on pouvait attendre, le concept représenté par le mot « transparence » dans le contexte de la communication moderne est exactement l’opposé du concept originel. Comme je le disais, j’ai mis longtemps à le comprendre.
La fronde populaire, c’est la perte de signification des valeurs de gauche pour « le peuple ». Deux tristes évènements sont déjà inscrits dans l’Histoire de France à cet égard : le 21 avril et le non au traité constitutionnel européen. Pour étayer mon propos, je citerais Giscard qui lors d’un débat avec Mitterrand a lâché le désormais célèbre « Vous n’avez pas le monopole du c½ur !». Effectivement, n’est-ce pas là le point de départ de la fin du fort clivage droite/gauche. Les valeurs universelles portées habituellement par la gauche sont devenues des valeurs « revendiquées » par tous, en tout cas, dans leur communication officielle. On voit apparaître les thèmes de politique sociale, d’écologie et d’abolition des privilèges de la classe dirigeante dans tout le spectre de l’échiquier politique, dès le milieu des années 1990. C’est à partir de ce moment qu’un problème se pose pour la gauche en général et le PS en particulier, puisque ce sont des thèmes forts de ses programmes politiques. Aussi, on voit une montée en puissance de la « gauche de la gauche » et un basculement assez inattendu de la classe ouvrière vers la « droite de la droite ». Les partis représentés à l’assemblé sont affaiblis et il devient possible à un parti extrémiste de passer le premier tour des présidentielles. Pour le référendum, le phénomène est sensiblement le même – bien que plus complexe – , c’est un phénomène contestataire qui a mis KO le traité alors qu’une quasi unanimité des parlementaires en avaient approuvé le principe. Donc, « le peuple » et « ses représentants » n’ont pas le même avis sur un enjeu de cette importance. La moindre des choses eut été de remettre une partie des mandats en jeux. Pour vous en convaincre, relisez « le contrat social » de Jean-Jacques Rousseau et vous verrez que la démocratie est bien malade par les temps qui courent.
Le décor est désormais dressé et je peux aller plus en avant dans ma démonstration.
Le gouvernement Villepin a été mis en place quelques jours après le NON au référendum. Il avait (il a) pour mission le rétablissement d’une des plus grandes injustices des 30 dernières années : le droit au travail et à la dignité qui en résulte. Notez en passant que N.Sarkozy a eu vite fait de lâcher Bercy pour revenir Place Beauvau : il n’est pas fou, vouloir s’obstiner au ministère de l’économie et des finances alors que le pays est dans la situation économique qu’on décrit quotidiennement sur ce forum relèverait du sacerdoce. Ca montre bien que son objectif est la conquête du pouvoir et pas nécessairement l’application d’une réforme en profondeur telle que les français l’attendent.
Revenons à Villepin qui a choisi « l’emploi aidé » comme levier pour réussir sa mission. Je pense qu’une grande partie d’entre nous sommes convaincu de la nécessité d’un changement structurel qui n’a aucune commune mesure avec « un N-ième accroissement de l’endettement pour passer de 10,3 à 9,8% de chômeurs ». De la même manière, je pense que ce dont le pays a le plus besoin, c’est d’un assainissement financier. Même les ennemis historiques du « grand capital » se rangent aujourd’hui à l’idée « qu’avant de distribuer de la richesse, il faut commencer par la produire ». C’est ici qu’intervient la BCE puisque la montée des taux pénalise principalement les entreprises mais est plutôt de nature à participer à cet « assainissement » contre le propre avis du gouvernement.
L’acte le plus récent de ce gouvernement, rapporté comme « une révolution » par les commentateurs a été le « crédit hypothécaire rechargeable ». C’est une décision particulièrement grave que le gouvernement vient de prendre. En effet, elle est de nature à accélérer le phénomène de « fronde populaire », puisqu’il ne s’agit plus de « libéralisme » mais de « néo-libéralisme ». Nous ne sommes plus dans la redistribution des richesses produites par le travail, mais nous sommes bien dans le creusement d’un fossé gigantesque entre les détenteurs du capital et les autres (dont je fais partie comme la plupart des personnes de la génération des 20-35 ans!). Nous sommes donc bien en présence de glasnost puisque le gouvernement affiche des prétentions sociales voire égalitaires et que ce dernier acte de sa politique est une des mesures des plus inégalitaires et asociales qui soit depuis de nombreuses années. D’autre part, compte tenu de ce que nous connaissons de l’état des finances de la France et des ménages qui la compose, on a du mal à comprendre cette mesure qui tend à aggraver encore l’état des « bilans individuels ». En effet, on va ajouter la dette personnelle à la dette de l’état qui est déjà vertigineuse. Le « crédit hypothécaire rechargeable » est assurément l’outil qui nous manquait pour que notre dette globale dépasse 100% du PIB. Vous en rêviez, Villepin l’a fait !
Donc, pour te répondre, bienjoué, la lecture de la politique gouvernementale n’est pas si facile que ça à cause de ce décalage entre la « communication officielle » et la « réalité des actes ».
Je conclurais en disant que la glasnost est de nature à accélérer le phénomène de fronde populaire.... Mais si on met en lumière les évènements avec les cycles de Kondratieff, ce que nous vivons est tout à fait normal : des mensonges d'état, des émeutes, l’état d’urgence, la dette, la montée des extrêmes … pas très réjouissant tout ça.
Modifié en dernier par Jean Dupont le 29 déc. 2005, 10:45, modifié 1 fois.