Faut pas trop attendre de ce côté là.
A défaut de sources sur les réserves fabuleuses fantasmées des cornucopiens.
05 décembre 2012, par Matthieu Auzanneau
Michael Kumhof est co-responsable de la modélisation au sein du Fonds monétaire international (FMI). Avec d'autres chercheurs du FMI, il a publié plusieurs études sur le "pic pétrolier". Ces études recèlent des mises en garde concernant un possible déclin prochain de la production mondiale de pétrole.
L'inquiétude de M. Kumhof ne trouve aucun écho dans la ligne politique du FMI. Cet économiste allemand de 50 ans n'a pas été appelé à présenter ses travaux devant Christine Lagarde et le reste de la direction du bailleur international. Son travail n'en mérite pas moins l'attention...
Pourquoi vous êtes-vous penché sur la question du pic pétrolier ?
Michael Kumhof - Cela fait presque dix ans que je suis préoccupé par cette question. Je ne suis pas certain de quand le déclin de la production mondiale de pétrole risque de commencer. Mais lorsque j'observe l'économie mondiale, je sais que les implications d'un tel déclin seraient si graves qu'en tant que chercheur, je ne peux qu'examiner ce problème avec le plus grand sérieux.
Combien de temps avons-nous encore avant que le déclin commence ?
C'est l'une des choses que nous essayons de déterminer. Un fait est certain : depuis la fin de l'année 2005, la croissance de la production mondiale de pétrole brut est proche de zéro. Si vous ajoutez à cette production le gaz naturel liquide et les formes non-conventionnelles de pétrole, alors la tendance récente devient un tout petit peu plus positive. Mais, si vous regardez seulement le pétrole brut [qui constitue environ 80 % de la production de carburant liquide], alors on pourrait dire que nous avons déjà atteint la production historique maximale.
Si vous prenez en compte la production de carburant liquide dans son ensemble, il est trop tôt pour dire quand le pic de production total interviendra. Des travaux de recherche crédibles suggèrent qu'un tel pic pourrait apparaître très bientôt. Au FMI, dans notre dernière étude, nous avons seulement simulé ce qu'il pourrait se passer lorsque le déclin s'amorcera, quelle que soit la date du pic.
Pouvez-vous décrire le degré de gravité des conséquences d'un possible déclin de la production mondiale de pétrole ?
Supposons qu'à partir d'un certain point dans le futur, la production mondiale de pétrole déclinera de 2 % par an chaque année durant un certain nombre d'années. Notre simulation indique qu'il y aurait alors des effets très importants. Selon notre modèle, le taux de croissance économique serait réduit chaque année de presque 1 % aux Etats-Unis et dans la zone Euro.
Cela ne semble pas si catastrophique.
1 % par an, c'est en soi énorme. Au bout de 20 ans, cela voudrait dire que le PIB serait d'environ 20 % inférieur à la tendance antérieure. C'est tout sauf négligeable.
Mais il faut aussi regarder l'impact sur les prix du pétrole : dans notre simulation, avec un déclin de 2 % par an des extractions, le prix du brut grimperait énormément, de presque 800 % au bout de 20 ans ! Je ne suis pas sûr que l'économie mondiale serait capable de faire face à quelque chose comme ça. En conclusion de notre dernière étude, nous nous demandons si notre modèle ne passe pas à côté de quelque chose : une fois que les prix du baril dépassent un certain niveau, l'impact sur le PIB pourrait être beaucoup plus grand.
Que voulez-vous dire ?
L'effet des prix du pétrole sur le PIB peut être non-linéaire. Cela signifie qu'au-delà de, mettons, 200 dollars le baril, beaucoup de secteurs pourraient être incapables de faire face. On peut penser aux transports : le fret routier, les compagnies aériennes et toute l'industrie automobile souffriraient très gravement d'un prix aussi élevé. Et puis il y aurait un effet domino sur d'autres secteurs de l'économie.
Notre modèle envisage une adaptation relativement douce, dans laquelle les industries parviennent à ré-allouer leurs investissements en direction d'autres sources d'énergie. Il n'est pas évident à mes yeux qu'il s'agit là d'un scénario correct dans le contexte de prix du brut extrêmement élevés. Je ne peux que m'interroger.
Vous reconnaissez que votre modèle connaît des limites lorsqu'il s'agit de simuler l'impact d'un futur déclin de la production mondiale de pétrole. Quelle est l'origine de ce modèle ?
Il s'agit d'un modèle théorique que nous utilisons depuis longtemps pour simuler l'évolution de l'économie mondiale, notamment dans le cadre des politiques de relance fiscale et face à bien d'autres choses qui vous le savez, occupent les unes des journaux depuis quelques années. Il s'agissait toujours jusqu'ici de simuler des phénomènes purement économiques : bien que très graves, aucun n'a abouti à des résultats hors-norme.
Mais avec [la simulation d']un prix du baril supérieur à 200 dollars, on entre dans un monde inconnu, en particulier si des prix aussi hauts se maintenaient non seulement pendant quelques mois, mais en quelque sorte pour toujours. C'est tout simplement un monde que l'on ne connaît pas.
Vous soulignez que nous ne sommes pas encore entrés dans ce monde du pic pétrolier. Pourtant, vous insistez sur le fait que la production de brut n'augmente quasiment plus depuis maintenant sept ans, et ce malgré l'envolée des cours du brut.
Pour l'instant, il est assez dur de démêler ce qui, dans ce "plateau" de la production de brut, est la conséquence de limites géologiques, et ce qui est dû à d'autres facteurs, et en particulier à la crise financière.
Jusqu'ici, la géologie pourrait ne pas être la seule raison pour laquelle la production de pétrole n'augmente pas. Toutefois dans notre étude parue en mai, intitulée "L'avenir du pétrole : géologie contre technologie", nous montrons que, même si la croissance économique réclamait une croissance de la production pétrolière d'environ 0,8 % par an (ce qui correspond à ce que l'Agence internationale de l'énergie a annoncé), les prix du brut devraient dans ce cas augmenter terriblement, de presque 100 % d'ici à la fin de la décennie !
Notre modèle aboutit à cette conclusion pour plusieurs raisons. La géologie commence indubitablement à limiter notre capacité à accroître la production, tandis que nous savons qu'au contraire des prix du brut élevés n'ont statistiquement qu'un très faible impact sur cette capacité à augmenter les extractions, et qu'ils réduisent peu la demande de pétrole.
Je dois reconnaître toutefois que de nombreuses incertitudes entourent nos prévisions. Il y a par exemple le boom des huiles de schistes aux Etats-Unis, je crois que cela va aider un peu, mais pas tant que ça.
Que pouvez-vous affirmer concernant l'imminence d'un déclin de la production mondiale de pétrole ?
Dans notre dernier article, nous faisons référence à une étude très approfondie publiée en 2008 par le Centre britannique de recherche sur l'énergie [pdf], qui constitue à notre avis de loin la meilleure étude publiée jusqu'ici sur le pic pétrolier. Les auteurs de cette étude concluent qu'il est trop tôt pour être tout à fait certain de la date à laquelle le déclin débutera. Mais ils disent également qu'il est quasiment impossible que ce déclin puisse intervenir après 2030. Selon eux, ce déclin commencera plus tôt, avec une forte probabilité qu'il se produise un bon nombre d'années avant 2030.
Une autre étude solide [dirigée par Robert Hirsch, déjà interrogé sur 'oil man'], qui a été publiée par le ministère de l'énergie américain en 2005 [pdf], montrait que faire face au pic pétrolier nécessiterait un effort d'investissement gigantesque, sans précédent dans l'histoire, afin d'adapter l'infrastructure industrielle. Ce rapport montrait que 10 années, au strict minimum, seraient nécessaires afin de accomplir une telle adaptation sans trop de dégats.
Jugez-vous ces études convaincantes ?
Je ne saurais juger de leur valeur avec une certitude absolue, mais leurs résultats me semblent plausibles.
Vous avez développé ce que vous appelez un "scénario de frontière entropique". L'entropie n'est pas un concept économique, et l'on ne s'attend pas à le croiser dans une étude du FMI...
Non, malheureusement, ce n'est toujours pas un concept économique. Le concept d'entropie vient de la physique et de la thermodynamique. En gros, ce concept dit que tout système fait face à une dissipation de son énergie. L'énergie ira toujours d'un état de basse entropie à un état de haute entropie, ce qui veut dire que l'énergie tend à se dissiper, allant d'un état concentré à un état diffus, c'est-à-dire techniquement inutilisable. Bien des structures que nous utilisons ont été construites en ayant recours à des quantités énormes d'énergie concentrée, principalement sous forme de carburants fossiles. Si vous ne touchez pas à ces structures, si vous n'ajoutez pas constamment de l'énergie au système, alors au bout de quelques décennies, ces structures s'effondreront.
Les économistes ont négligé l'entropie, je pense que c'est une erreur. Il y a eu une analyse publiée en 1971 [pdf] par Nicholas Georgescu-Roegen. Avant ça, la toute première personne qui a essayé d'intégrer le concept d'entropie en économie a été Frederick Soddy, prix Nobel de chimie en 1921. Leurs travaux ont eu un certain écho au moment de leurs publications, mais ensuite ils ont été à peu près ignorés. Je crois que dans le futur, les économistes devront réfléchir beaucoup plus à l'entropie.
Que diriez-vous du degré de prise de conscience du FMI au sujet du pic pétrolier ?
Plusieurs personnes du département de recherche du FMI ont participé à des travaux sur l'avenir du pétrole. Mais nous autres chercheurs ne produisons pas la ligne politique officielle du FMI.
Diriez-vous que la direction politique du FMI ignore le problème ?
Pour le moment, le Fonds monétaire international encourage activement une recherche scientifique impartiale sur la question. Mais jusqu'ici, le FMI n'a pas adopté de position officielle. Nous avons présenté nos travaux en interne, mais uniquement au sein du département de recherche.
Pour ma part, lorsque je regarde les faits, je ne peux tout bonnement plus écarter la perspective géologique [la perspective d'une limite absolue des capacités d'extraction mondiales]. Ecarter cette perspective serait hautement anti-scientifique, et même irresponsable.