Bon, je vais essayer de répondre sans m'énerver aux remarques pas très sympas qui ont été faites.
Je dis sans m'énerver, parce qu'on a quand même toutes les marques de mauvaise foi du trollage ordinaire : réponses lapidaires et ironiques, caricature de mes propos, accusations de sortir du champ scientifique pour rentrer dans celui du cathéchisme, peu de signes de connaissance approfondie du sujet...
Bref :
- Je n'ai jamais parlé de bon sauvage. Je n'y crois pas. Je dis simplement que les données scientifiques donnent pour le paléolithique des éléments pour en faire une période modérément violente, ou éventuellement peu violente. On peut se référer aux travaux de Jean Chavaillon (même si je ne crois pas à son idée d'un âge d'or), à ceux de Jean-Paul Demoule, spécialiste du néolithique (point intéressant : la période de néolithisation se fait sans laisser de traces de violence en Europe : il semble que les chasseurs-cueilleurs n'aient pas résisté physiquement à l'avancée néolithique.
- Rousseau, vous devriez le (re)lire. Rousseau imagine un "état de nature" fictif, théorique, pour les besoins de la démonstration :
un Etat qui n'existe plus, qui n'a peut-être point existé, qui probablement n'existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d'avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent (Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes)
Durant lequel les hommes auraient vécu isolés les uns des autres, se regroupant uniquement ponctuellement, principalement pour se reproduire. Or les hommes (et tous les hominidés) ont toujours vécu en société, les situations de solitude étant des situations anormales (jeune mâle exclu du groupe, par exemple). En revanche, Rousseau a des fulgurances étonnantes pour son époque dues sans doute à sa connaissance extensive des écrits de voyageurs.
Le mythe du bon sauvage n'est d'ailleurs pas une invention de Rousseau, on le trouve bien plus tôt chez Jacques Cartier et Montaigne.
- Le singe en nous.
Je commande ce livre dès que possible, ça fait deux ou trois fois qu'il me passe sous le nez, il est temps que je le lise. Mais bon, je ne pense pas que De Waals dise des choses profondément différentes des autres éthologues.
Quoi qu'il en soit, si on suit le texte qui est donné ici : l'homme tendrait naturellement à être tiraillé entre deux penchant, l'un agressif, l'autre empathique (remarque : c'est effectivement ce qui est largement admis par nombre d'auteurs).
Simplement, l'homme, s'il n'est pas biologiquement très différent des autres primates, a quand même une spécificité qui s'appelle la culture (au sens premier du terme, pas au sens Jack Lang). Et aussi une grande plasticité du cerveau, qu'on ne retrouve pas chez les autres primates (pas dans les mêmes proportions). Notamment dans les jeunes années, puisque nous naissons avec un cerveau immature, qui continue à se former longtemps après la naissance (altricialité secondaire).
Cette caractéristique est fondamentale, car notre cerveau a pour caractéristique de se former largement en fonction des conditions environnementales et culturelles qui entourent l'enfant dans ces jeunes années (avec un autre moment de grande plasticité du cerveau à l'adolescence, mais aussi, encore, toute la vie, une certaine plasticité). Contrairement aux autres primates, la constitution physique de notre cerveau est largement conditionnée par notre culture (mais contrairement à ce que disent les tenants de la théorie du genre, pas complètement non plus tout n'est jamais tout noir ou tout blanc).
L'autre point fondamental qui nous caractérise depuis 70 000 ans, c'est la faculté de langage complexe. Or, les linguistes pensent de plus en plus que ce langage très complexe, symbolique, avec les fonctions métaphorique et métonymique, la récursivité, ne se justifiait pas pour la simple transmission de savoirs techniques. D'autres langages plus logiques (ex : les mathématiques), associés à un proto-langage, auraient été plus adaptés à des technologies complexes. On pense donc que ce langage symbolique a surtout été utile pour la régulation des rapports entre individus.
Ce qui rejoint d'ailleurs un certain nombre d'éléments culturels dans les sociétés primitives, tels que la pratique du don, ou l'obéissance à la loi : ce n'est pas qu'il n'y a pas de violence dans ces sociétés, c'est qu'il y a beaucoup de systèmes de régulation de la violence.
On peut penser ensuite que parmi les groupes humains, certains ont utilisé ces systèmes mieux que d'autres, qui sont restés plus agressifs. On peut alors poser la question de manière darwinienne : lesquels de ces groupes ont eu le plus de chance de survie. On peut se dire que ce sont les plus agressifs, qui auraient dominé les autres. Je pense que c'est très douteux. D'abord, parce que les plus agressifs étaient ceux qui avaient le moins de chance d'assurer une cohésion intra et inter-groupes. Les moins agressifs avaient plus de capacité à s'allier avec d'autres groupes pour assurer leur développement et leur défense. Les plus agressifs avaient toutes les chances de cristalliser contre eux des alliances de groupes plus aptes à la communication et à la raison.
On a un élément factuel qui soutient encore cette thèse : l'explosion culturelle et symbolique du paléolithique supérieur : il y a 40 000 ans, très rapidement, homo sapiens se met à accumuler les innovations de tous ordres, avec une diffusion très rapide (toutes proportions gardées) de ces innovations. Ca surprend beaucoup Jared Diamond, qui, dans "Le troisième chimpanzé", ne trouve pas d'autre explication qu'une soudaine mutation génétique. On peut y voir une autre explication : maintenant répartis largement à la surface du globe, les homo-sapiens ont commencé à innover à partir de données génétiques présentes depuis des dizaines de millénaires, leur permettant langage et pensée symbolique, mais surtout, ils étaient capable se se transmettre les innovations les uns aux autres (sans quoi, les progrès auraient été beaucoup plus lents).
Or, on ne peut pas imaginer qu'une telle transmission se soit produite entre groupes qui étaient foncièrement agressifs les uns envers les autres. Raison de plus d'ailleurs pour plaider pour l'élimination des groupes les plus agressifs : qui leur aurait transmis un savoir abstrait qui ne s'accapare pas par la violence ?
Il y a donc de fortes raisons de penser que le paléolithique supérieur était une période d'agressivité régulée, durant laquelle bien entendu il y a dû y avoir des meurtres et des massacres (je ne crois pas au mythe du bon sauvage) mais dans des proportions modérées.
Donc pour répondre à cette question :
Groumf a écrit :J ai du mal a croire au mythe du bon chasseur ceuilleur. Je connais les arguments qui en feraient des assassins, quels seraient les arguments pour en faire des hommes pacifiques autre qu une eventuelle non competition territoriale a laquelle je ne crois pas ?
1. Je ne parle pas d'un mythe du bon chasseur-cueilleur. Je parle d'une agressivité plus ou moins régulée selon les périodes, et de raison de penser que cette régulation était globalement bonne au paléolithique.
2. J'évite dans la mesure du possible, d'ailleurs de "croire". J'émets des hypothèses à partir de connaissances et j'essaie d'en évaluer la probabilité.
3. On peut essayer de lister des arguments en faveur d'une agressivité régulée au paléolithique :
- Peu de traces archéologiques de violence.
- Avis de nombreux paléoanthropologues, anthropologues, ethnologues, linguistes : Demoule, Chavaillon, Stoczkowsi (je recommande "Anthropologie naïve, anthropologie savante"), Groenen, etc.
- Faible densité de population.
- Maîtrise du langage symbolique à un très haut niveau.
- Explosion culturelle nécessitant la transmission efficace du savoir entre groupes et coopération.
- Désavantage des groupes ne maîtrisant pas les capacités de transmission du savoir (difficultés à s'allier et à se faire transmettre le savoir).
- Présence dans la culture de nombreux éléments régulateurs tels que le don, les techniques de régulation de la parole qu'on retrouve dans les sociétés primitives, les tabous...
- Certitude que les hommes du paléolithique supérieur et même moyen s'occupaient de leurs infirmes, blessés et vieillards : preuves de compassion, même si désavantageuse en apparence.
- Sur un autre plan, absence dans l'alimentation de nutriments (sucres rapides...) liés à l'agressivité et présence de nutriments liés à la régulation de l'humeur (oméga 3 à chaine longue...).
- J'en oublie sans doute...
4. A l'inverse, la vision d'un paléolithique particulièrement violent qu'on retrouve dans toute la littérature profane, elle repose sur quoi ? Principalement sur la fiction (romans, BD, cinéma), sur l'éducation primaire (voir les travaux de Stoszkowki et la thèse de Pascal Semonsut (Le passé du fantasme, éditions Errance), et sur toute une culture populaire avec des hommes préhistoriques à peau de bête, massue, femmes tirées par les cheveux et cavernes enfumées.
Pi-R2, désolé de te contredire, mais s'il y a un catéchisme, il est plutôt là, les thèses sur le sujet le prouvent largement.
Je connais les arguments qui en feraient des assassins
Je veux bien la liste de ces arguments, les faits sur lesquels ils s'appuient, les références bibliographiques, toussa...