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Message
par fabinoo » 31 mars 2012, 18:20
C'est amusant, comme discussion, ça, où tout le monde accuse tout le monde de dire n'importe quoi.
Bon, ce qu'on sait :
On sait effectivement que l'état de santé des hommes du paléolithique était bon : ossature solide, pas de maladies infectieuses, pas de caries, pas de maladies de dégénérescence.
On sait qu'ils étaient grands, à peu près la taille des occidentaux aujourd'hui, mais beaucoup plus minces et musclés.
On ne sait pas grand-chose de leur espérance de vie. La seule étude que j'ai vue donnait une estimation à 34 ans, ce qui serait remarquable, si on considère que la mortalité infantile est de l'ordre de 50%.
Cette même étude donnait 3 ans de perte d'espérance de vie au passage à l'agriculture, rattrapés en quelques milliers d'années si ma mémoire est bonne.
On sait qu'on travaillait très peu dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs. 2h par jour en général.
On pense qu'un âge de 70 ans était plus ou moins la limite de l'époque. Les chances d'arriver à un tel âge n'étaient pas forcément très faibles. Des études menées par l'INED sur les registres paroissiaux du 17ème siècle montrent que les méthodes classiques d'évaluation de l'âge par l'étude des crânes sous-évaluent systématiquement l'âge des squelettes étudiés.
On sait qu'au début du néolithique, la taille des individus a décru sévèrement, à mesure que s'installait l'agriculture. 15cm environ de perte en moyenne. Que l'état de santé s'est nettement dégradé. Que sont apparues les premières épidémies. Que l'espérance de vie a baissé, les 3 ans de l'étude sus-citée ne semblent pas délirants. On sait qu'on retrouve 50% de squelettes d'enfants en plus dans les sépultures, ce qui laisse imaginer une augmentation de la mortalité infantile, mais il se pourrait qu'il y ait des biais, liés notamment aux aspects culturels.
On sait aussi que parmi les sociétés agricoles, on a des disparités très importantes au niveau de l'état de santé. On connaît le régime crétois ou l'espérance de vie remarquable des habitants d'Okinawa. Il ne faut pas oublier non plus que la chasse, la pêche et la consommation de plantes sauvages ne disparaissent jamais totalement dans les sociétés traditionnelles.
En fait, quand les sociétés se complexifient, l'espérance de vie remonte, et d'après l'étude citée plus haut, elle dépasse alors celle du paléolithique.
La qualité de l'état de santé des chasseurs-cueilleurs et la dégradation liée à l'agriculture s'expliquent de la façon suivante : l'alimentation humaine n'a pas changé dans ses grandes caractéristiques entre -2 000 000 d'années et - 10 000 ans. Homo Sapiens, apparaissant vers - 200 000, est le fruit d'une lente évolution dans des conditions précises. Il est génétiquement parfaitement adapté à son environnement alimentaire. Le changement brutal d'alimentation lié au passage à l'agriculture ne lui permet pas de s'adapter génétiquement. Il y a des adaptations, mais elles ne sont que fonctionnelles et épigénétiques. Par exemple, les adultes conservent la capacité de digérer les produits laitiers, mais ces produits laitiers causent quand même quelques soucis.
Deux autres aspects sont fondamentaux pour le développement d'épidémies : l'accroissement de la densité de population, et l'élevage, qui est un réservoir important de pathogènes.
Il n'y a pas du tout contradiction entre un état de santé individuel dégradé et le développement de civilisations. Au contraire, l'agriculture force les sociétés à se sédentariser et à s'organiser, donc à se complexifier. Elle les force à stocker, aussi : contrairement à la chasse et à la cueillette, la production est saisonnière, et doit être stockée. Le fait d'apprendre à stocker et d'avoir des produits conservables comme le grain est un avantage militaire considérable. On peut partir à la guerre avec des réserves et en nombre, ce que ne peuvent faire que très mal les chasseurs-cueilleurs. Tout ceci conduit à des sociétés qui peu à peu supplantent les chasseurs-cueilleurs.
L'alimentation actuelle a fait un nouveau saut (dé)qualitatif, surtout depuis les années 60. On ne sait pas encore l'impact que ça aura sur l'espérance de vie, la dégradation étant rapide mais progressive, et la génération qui "fait" actuellement l'espérance de vie est née autour de 1930, époque où pas mal de facteurs favorables étaient en progression et où l'alimentation était encore de qualité. Or il y a une période de la vie cruciale, c'est celle de la constitution de l'individu, celle de sa croissance, de -9 mois à +18 ans environ. Les humains nés en 1930 ont passé leurs 20 premières années sans nourriture industrielle, et même s'ils en ont progressivement consommé de plus en plus, au final, ça n'a que très peu d'impact sur leur espérance de vie.