Pourvu que JAMAIS nous ne passions au tiers-payant généralisé !
OK, c'est pas très populaire de dire cela...
Pour comprendre pourquoi il faut continuer à faire payer les gens, je n'entrerai pas dans les explications compliquées (mais parfois fort bien réfléchies) de mes collègues.
Je précise avant d'entrer dans le vif du sujet que les exemples suivants d'abus sont le fait d'une minorité, qu'ils ne sont pas propres à une classe sociale ou à une classe d'âge, qu'ils ont souvent le fruit d'une irresponsabilité majeure, mais que certains sont quasiment excusables car perdus et angoissés par la complexité de notre société/
La raison pour laquelle je suis contre le tiers payant généralisé, c'est par expérience au quotidien des méfaits de la "gratuité": combien de fois on entend dire: "si vous ne me faîtes pas de bon de transport (ambulance), je ne viendrais plus chez vous" ou "je viendrai en ambulance, je ne veux pas déranger mes enfants", ou "pour venir accoucher, j'ai préféré appelé le SAMU (et leur dire que je n'avais pas de moyen de transport, le tout pour éviter de salir la voiture de mon mari, qui lui suivra le SMUR)". Ces cas sont fréquents, et le cas de la voiture du mari, régulièrement vécu !
Et puis, il y a : "je préfère venir la veille de l'intervention chirurgicale, je n'aime pas l'ambulatoire", "je reste hospitalisée ce soir, au moins cela évitera à ma fille de s'inquiéter", "je me sens un peu fatigué, je ne me sens pas de rentrer à la maison (alors que tout va très bien)".
On a aussi : "- Julie, tous les patients sont venus au rendez vous aujourd'hui ? - Non, docteur, ya la famille KIPAIPAMAIKIPRENRENDEZVOUTOULETEMPS qui n'est pas venue, encore une fois." ou mieux: "- Vous revoilà Monsieur SANTEPACHERE, qu'est-ce qui vous arrive encore ? - je savais pas quoi faire, docteur, alors je viens faire un petit check-up. Ce serait bien de me faire faire une prise de sang, ça occupera mon mardi." Sans parler de : "-Vous revoilà aux urgences pédiatriques, Mme CEFACILE ? -Oui, le petit (13 ans) a de la fièvre et il tousse depuis qu'il est rentré du collège."
Je ne vais pas parler de l'incroyable surconsommation de médicaments, c'est juste fabuleux.
Le mieux en cette fin janvier: une patiente de chirurgie hors convention, donc qui paie tout de sa poche (du chirurgien à l'hospitalisation, du transport à la prise de sang) : "-docteur, je veux rester hospitalisée 4 jours, j'y ai droit, car cette fois, c'est moi qui paie !!!".
Que peut-on en conclure ? Que cette patient n'a pas compris que quand elle se faisait opérer pour une fracture, ce n'était pas "gratuit" ? Que de toute façon, il y avait une facture salée à faire payer à la population française, dont elle.
Peut-on affirmer que si les patients devaient avancer les frais d'ambulance, ils éviteraient les abus ?
Peut-on croire que beaucoup de patients CMU se sentiraient plus concernés par leur santé si ils se rendaient compte des réalités financières que supporte la nation ? Viendraient-ils plus souvent au rendez-vous, ou prendraient-ils moins souvent rendez-vous pour des pécadilles ?
Si les patients connaissaient le coût d'une journée d'hospitalisation (900 à 1600 € pour les services courants et réa), s'ils connaissaient la différence de prix pour la sécu entre une hospitalisation ambulatoire et une nuit passée à l'hôpital, ne voudraient-ils pas écourter leur séjour parmi nous ?
Je pense que Oui.
Je pense que le fait de ne pas être concerné du tout par le coût des choses provoque des dérives : déresponsabilisation, surconsommation, baisse de l'estime du service rendu.
Regardons l'éducation nationale. Nous sommes tous ou presque à la critiquer, et on oublie souvent l'investissement financier et humain énorme que cela demande au citoyens et contribuables français. Combien de nos semblables ne voient pas dans l'école une opportunité pour leurs enfants mais une sorte de garderie optionnelle, qui en plus ne fait pas bien son boulot éducatif ?
Loin de moi l'idée de faire payer l'école ou la police de façon privatisée, loin de moi l'envie que les patients aient à payer 7000 € pour leur chirurgie de la hanche en attendant de se faire rembourser par l'assurance maladie (universelle et/ou complémentaire).
Mais je pense qu'ils ne faut pas nous déresponsabiliser face à la santé, et au lieu d'entendre parler de milliards de déficits de la branche maladie, j'aimerai que mes patients voient le coût total des dépenses qui leur incombe, de façon bien plus nette qu'actuellement.
Je terminerai par cette étude intéressante, et récente :
http://www.lexpress.fr/actualite/societ ... 46272.html
Quand on fait croire à un patient qu'un médicament est cher, le traitement est plus efficace que si on lui fait croire que le coût est dérisoire. Quand bien même si il s'agit du même placebo !
En gros, si ça a un coût élevé, je me sens responsable, même inconsciemment.