Je ne savais pas trop où classer cet article parce qu'il est transverse à plusieurs discussions sur le forum et touche donc à plein de thématiques (immo, social, ségrégation scolaire et géographique, politique, évasion fiscale... jusqu'à l'évocation finale du transhumanisme réservé aux happy fews). Alors j'ai décidé qu'il méritait son fil à lui tout seul .
Rien de révolutionnaire mais une bonne synthèse des échanges qu'on trouve ici ou là sur le forum. Et bien sûr une analyse qu'on peut contester.
Quelques extraits mais, comme d'hab, je ne saurais que trop vous conseiller la lecture intégrale...
Jérôme Fourquet a écrit : Ces dernières années, de nombreux observateurs ont souligné le développement du communautarisme ethnoreligieux dans certains quartiers, dans le monde du travail, et même à l’école. Si ce phénomène est bien réel, la cohésion de la société française est également mise à mal par un autre processus, moins visible à l’œil nu, mais néanmoins lourd de conséquences. Il s’agit d’un processus de séparatisme social qui concerne toute une partie de la frange supérieure de la société. Les occasions de contacts et d’interactions entre les catégories supérieures et le reste de la population sont en effet de moins en moins nombreuses. De manière plus ou moins consciente et plus ou moins volontaire, les membres de la classe supérieure se sont progressivement coupés du reste de la population et ont construit un entre-soi confortable. Cette situation n’est certes pas totalement nouvelle et il ne s’agit pas de glorifier une période révolue où aurait existé une osmose parfaite entre les élites et le peuple. Mais, comme nous allons le voir, un processus protéiforme s’est mis en place depuis une trentaine d’années, creusant un fossé de plus en plus béant entre la partie supérieure de la société et le reste de la population. Cette distance croissante explique le fait que les élites ont de plus en plus de mal à comprendre « la France d’en bas ». Mais elle aboutit également à une autonomisation d’une partie des catégories les plus favorisées, qui se sentent de moins en moins liées par un destin commun au reste de la collectivité nationale, au point que certains de leurs membres ont fait sécession.
I - La densité de cadres vivant dans le cœur des métropoles ne cesse de se renforcer
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À l’échelle d’une ville de la taille de Paris, ce changement de la morphologie sociale est spectaculaire.
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Ce processus d’embourgeoisement et de gentrification est particulièrement spectaculaire à Paris, mais il concerne également les principales métropoles françaises. [...]
II - Quand les CSP+ investissent massivement les écoles privées
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Non seulement la mixité sociale a fortement reculé au plan géographique au cours des trente dernières années, avec une concentration des CSP+ dans le cœur des grandes métropoles, mais cette ségrégation sociale s’est accompagnée d’une ségrégation scolaire renforcée, avec un choix de plus en plus fréquent des catégories favorisées pour l’enseignement privé.
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De la même façon, et ce n’est pas sans lien avec les résultats que nous venons d’évoquer, alors qu’entre les années 1970 et 2010 l’hétérogamie sociale a progressé très significativement dans la société française, ce n’est pas le cas parmi les diplômés des grandes écoles, chez qui l’homogamie a gagné du terrain.Au terme d’une étude fouillée sur l’évolution de l’homogamie en France depuis le début des années 1970, Milan Bouchet-Valat concluait : « Nous semblons assister à une unification lente mais régulière de la société française, qui contraste avec un mouvement de repli décelable à son extrême sommet[6]. »
III - 1996-2001 : la fin du service militaire sonne le glas du brassage social via les chambrées
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Symboliquement, il n’est d’ailleurs pas anodin de constater qu’Emmanuel Macron est le premier président de la Ve République à ne pas avoir accompli son service militaire.
IV - Le lent déclin des colonies de vacances
Une autre institution assurant un certain brassage social a connu des mutations profondes au cours des trente dernières années.[...]
De manière plus anecdotique, car les volumes de population concernés sont plus faibles, une sélection sociale est également à l’œuvre dans un autre secteur relevant des loisirs : le football. [...]
V - Le clivage « la France d’en haut/ France d’en bas » est de plus en plus manifeste au sein des partis et dans les urnes
Si, en France, les partis politiques n’ont jamais été des organisations de masse rassemblant des centaines de milliers de militants, ils constituaient néanmoins, et notamment à gauche, un lieu dans lequel différentes catégories sociales pouvaient se côtoyer. Et, même si le recrutement du Parti socialiste, par exemple, n’a jamais été extrêmement populaire, des cadres, des professions libérales et des responsables politiques locaux ou nationaux pouvaient y rencontrer des représentants des classes moyennes ou d’une fraction des milieux populaires et échanger avec eux. Cette fonction n’est pas à négliger. Elle permettait à des dirigeants et à ceux chargés de réfléchir à l’avenir du pays de prendre le pouls de la société et de sortir des frontières de leur milieu social d’origine ou du microcosme politique. Or, si l’on s’en tient au cas du Parti socialiste (pour lequel on dispose de données d’enquêtes sur le profil des adhérents), la mixité sociale a fortement reflué dans les sections depuis le milieu des années 1980.
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Fatalement, les sujets de préoccupations et les priorités retenues par l’appareil militant s’en trouvent progressivement modifiés. Les thématiques sociales, portées traditionnellement par la gauche, sont délaissées au profit de sujets sociétaux parlant davantage aux CSP+ et au plus diplômés comme en témoignent les propos de ce haut dirigeant du PS cité dans Marianne : « Notre vrai problème, c’est que, dans nos réunions internes, on s’engueule pendant deux heures sur la GPA, et on évacue le Smic en 5 minutes… »[12].
VI - L’exil fiscal : stade ultime de la sécession des élites
Le processus de séparatisme social à l’œuvre dans les catégories les plus favorisées conduit, comme on l’a vu, au développement d’un entre-soi et à une déconnexion croissante avec le reste de la population. Il se traduit également par le fait que le sentiment de solidarité, mais aussi de responsabilité à l’égard de l’ensemble de la société – qui incombe traditionnellement aux élites selon le principe de l’adage « Noblesse oblige » – s’étiole progressivement. De nombreux membres des catégories les plus favorisées éprouvent aujourd’hui davantage d’affinités avec les personnes d’autres pays de niveau social équivalent qu’avec leurs concitoyens plus modestes. Pour une partie de l’élite sociale, le cadre national est aujourd’hui obsolète et le lien au pays n’est plus fondamental.
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On a là affaire à un phénomène profond. Il constitue une illustration paroxystique de ce séparatisme social développé depuis une trentaine d’années dans une partie des couches les plus favorisées de la population française.
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L’engouement d’une partie de la classe dirigeante pour le livre de Yuval Noah Harari Homo Deus. Une brève histoire de l’avenir[20] constitue un symptôme supplémentaire de cette aspiration sécessionniste d’une partie de nos élites. Dans ce livre, l’auteur explique que la dernière frontière de l’humanité, à savoir l’immortalité, sera bientôt à portée de main du fait du progrès scientifique et technologique. Mais, poursuit-il, les prouesses du transhumanisme seront réservées aux happy fews, qui n’auront objectivement aucun intérêt à se préoccuper du sort du reste de la société : « Contrairement au XXe siècle, où les élites avaient tout intérêt à régler les problèmes des pauvres parce qu’ils étaient militairement et économiquement vitaux, au XXIe siècle la stratégie la plus efficace (bien qu’implacable) pourrait être de se débarrasser des voitures inutiles de troisième [à savoir les classes populaires et des pans entiers de la classe moyenne] et de foncer avec les seules voitures de première [les catégories supérieures].