pangloss a écrit : ↑28 janv. 2020, 20:19
LES LUTTES DE CLASSES EN FRANCE AU XXIe SIECLE, Emmanuel Todd, page 76 et suivantes
J'aimerais répondre, sans être taxé de contradicteur obstiné.
Nous ne sommes pas souvent d'accord, mais récemment, tu as pu constater que j'ai développé et argumenté longuement sur un sujet (collapsologie) où tu as considéré que l'ensemble de ma position était construite et défendable.
Je souhaite réellement qu'il en soit de même en terme d'a priori que tu pourrais avoir présentement à ma réponse.
Toutes ces précautions oratoires étant prises, je dois quand même annoncer la couleur : Todd dit absolument n'importe quoi sur le sujet, il ne connait pas assez ce qu'il critique pour que sa thèse ait la moindre valeur.
Cela pourrait être pris pour un argument d'autorité de ma part, et pour cause, mais même si c'est un forum anonyme, il est quand même facile de remarquer que le monsieur n'a aucune connaissance profonde de ce dont il parle.
Je ne vais pas tout reprendre, mais voici quelques exemples de son n'importe quoi à l'aune d'une formation littéraire :
L'illusion educative
La proportion de la population qui fait des études supérieures augmente, le niveau de ces études supérieures baisse.
C'est à dire "il baisse" ?
On parle de quoi ? Du niveau de maitrise des sujets ou du niveau de connaissance ?
Je n'y connais strictement rien en matière d'études sociologiques telles qu'elles se déroulent à l'université. Pour les études scientifiques, je connais un peu plus de choses.
Je n'irai jamais affirmer devant une assemblée scientifique que le contenu des études supérieures baisse. En fait, dans un nombre très important de domaines scientifiques, les notions étudiées en cycle licence et master étaient simplement inconnues il y a ne serait-ce que trente ans. C'est aussi bien vrai dans le domaine de l'informatique évidemment, que dans celui des maths appliquées, voire des mathématiques, et surtout encore plus de la physique.
Le niveau de maitrise des étudiants qui arrivent du secondaire est sans doute faible, avec un niveau scolaire globalement en baisse constante, mais dès qu'on regarde un peu dans le détail ce qui est enseigné, c'est carrément autre chose.
J'ai mille exemples en tête, de la bio informatique au data mining, en passant par la programmation fonctionnelle ou objet, par les développements de maths appliquées ou par la physique optique... Le niveau des études supérieures ne baisse certainement pas dans les domaines scientifiques, bien au contraire. Ce qui pose de gros problèmes adaptatifs à une population issue du secondaire qui débarque avec aucun outil méthodologique en place.
Ces deux éléments contradictoires méritent une analyse plus fine, dont le but ultime sera de saisir leurs implications proches ou lointaines pour l'équilibre et la stabilité de notre société.
En quoi consistent exactement ces études supérieures ? A quoi servent-elles vraiment s'il ne s'agit plus de développer son esprit ou d'acquérir des compétences ?
Il faut le dire franchement : certains diplómes ne valent plus grand-chose. Une telle affirmation évoqura immédiatement dans l'esprit du lecteur des licences de psycho ou de lettres qui ne servent à rien. En réalité, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Le problème est beaucoup plus large. Un article du site Slate nous apprend que actuellement, en France, 80 % de l'accroissement du nombre de diplômés du supérieur provient du secteur privé avec, en pointe, les écoles de commerce, les écoles paramédicales ou d'ingénieurs. Les étudiants sont certes sélectionnés, mais il faut bien l'admettre, quand même, désormais certains diplômes s'achètent
En lisant trois fois le texte, je ne vois pas où Todd dit en quoi consistent les études supérieures. Probablement (très), parce qu'il est infoutu de le dire et de le saisir lui même, car, il parle d'études scientifiques, et il n'y connait visiblement rien.
Il y a certes une marchandisation de l'enseignement supérieur, et une privatisation. Où est-ce incompatible avec une maitrise technique et disciplinaire ? Nulle part en effet.
Deux exemples simples : on a parlé il n'y a pas longtemps de la technologie Led. Cette technologie s'est développée depuis le début des années 2000. C'est un secteur incontournable de l'industrie de l'éclairage, et tout technicien (formation universitaire courte) et tout ingénieur formé en optique devra suivre des cours dans ce secteur technique. Ceci n'existait pas il y a 20 ans.
Deuxième exemple : l'analyse en imagerie médicale. Concevoir, programmer de la détection de tumeurs. Toutes ces techniques n'existaient purement et simplement pas il y a trente ans. l'ensemble des techniques liées au data mining sont enseignées d'abord et avant tout ... en master.
J'ai plein d'autres exemples qui montrent qu'il n'y a pas antinomie entre des études payantes et l'acquisition d'une réelle compétence technique qui n'aurait pas été possible il y a trente ans.
Si l'on peut acheter son diplôme, à quoi servent concrètement, les études supérieures ? Dans un livre corrosif, le libertarien Bryan Caplan a soutenu la thèse qu'elles ne servaient pas - ou plus - à acquérir des compétences intellectuelles.
Wolfgang le dit fréquemment, on n'apprend pas à être intelligent. D'une certaine façon, les études précédentes sélectionnaient des individus intelligents et peu importait ce qu'ils savaient. Aujourd'hui, incontestablement, une partie de la formation universitaire scientifique ne sélectionne pas sur des aptitudes, mais sur des acquis, et confère des compétences.
pangloss a écrit :
Leur vocation est surtout de classer les étudiants. Le diplôme est devenu un élément de stratification sociale en lui-même, il procure des avantages tangibles sur le marché du travail. Autrefois, on faisait des études supérieures certes peut-être pour gagner mieux sa vie, mais aussi et surtout parce que l'on poursuivait un idéal d'émancipation intellectuelle, par désir d'apprendre. On fait
désormais des études pour survivre économiquement les diplomés du supérieur gagnent en moyenne 73% de plus que ceux qui
sont pas allés au-delà du secondaire. Cet avantage était de 50% á la fin des années 1970, note Caplan à propos de la situation aux
États-Unis. Et en France ? Le diplôme permet avant tout d'échapper au chômage. Les chiffres sont évocateurs : le taux de chômage des
sans diplômes de niveau certificat d'études primaires ou brevet s'élève à 17 % celui des simples titulaires du bac, d'un CAP ou d'un
BEP a 10%. celui des bacs + 2 ou plus à 5.2 %. Des écarts considérables, donc, de l'ordre du simple au triple.
Oui, c'est un fait. Mais cela a -t-il un rapport avec ce qui est enseigné ? Sans doute, en termes de valeur marchande sur le monde du travail. Car il faut aller au bout de ce raisonnement, si les formations universitaires permettent des débouchés rémunérateurs, alors que les étudiants ne seraient plus sélectionnés sur leur intelligence brute, c'est que les entreprises y trouvent un avantage différent ? Lequel sinon celui de l'opérabilité des formés ayant des compétences. On ne peut pas critiquer les deux faces du même tableau dressé.
Les formations supérieures ne stratifient pas simplement, elles sont aussi terriblement stratifiées en interne : la mentalité inégalitaire va se loger dans le moindre détail. Cette obsession de la petite différence qui est devenue l'une des grandes caractéristiques de la mentalité française, se manifeste, dans le domaine de l'éducation supérieure par la hiérarchie qui existe non seulement entre les universités et les grandes écoles, mais entre les grandes écoles elles-mêmes : Polytechnique et les Écoles normales supérieures seront ainsi plus prestigieuses que Sciences Po et HEC, l'7Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm que ses équivalentes de Lyon ou Saclay. Et on peut affiner encore : au sein même de l'Ecole normale supérieure de la rue Ulm, on oppose les élèves entrés sur concours (les « normaliens à proprement parler) et les élèves simplement diplômés de l'Ecole normale, sélectionnés sur dossier.
Bah, c'est parfaitement évident. Il y a des passerelles pour faire accéder à un même centre d'enseignement des gens de capacité différentes. Personne ne peut prétendre que les normaliens sont tous égaux. Un exemple simple : qu'ont en commun Villani, Werner, Bao Cho, Lafforgue, Yoccoz ? ce sont tous des médailles Fields des trente dernières années, tous passés par la rue d'Ulm, aucun par l'Ens de Lyon ni de Cachan. Et pourquoi ? ...Et par ailleurs, aucun n'était "auditeur libre"
Voilà, il y a des différences parmi l'élite scientifique et intellectuelle, n'en déplaise à Todd qui n'y connait rien.
Cette obsession de la distinction conduit les générations nouvelles à trainer dans le supérieur jusqu'à un âge avancé pour empiler les diplômes. Qu'on songe à ces normaliens ou polytechniciens qui enchaînent avec HEC, Sciences Po ou l'ENA (et parfois les trois à la suite). Une telle prolongation des études permet peut-être de sélectionner les plus endurants, mais, parce qu'elle supprime la réflexion personnelle durant trop d'années décisives, elle ne peut qu'aboutir à une baisse de l'intelligence créative, l'intelligence réelle. Tout comme nous estimons que le recul de la lecture entre 6 et 10 ans fait chuter le niveau intellectuel, nous devons postuler que des études supérieures trop longues entre 18 et 25 ans entament les facultés cognitives plus que la vidéo, nous ne devons accuser les études en elles-mêmes en imaginant simplement que trop forme un étudiant se retrouve formaté. C'est bien pire : il faut du temps libre pour apprendre à penser et des études trop longues rythmées par le long chemin de croix des examens et concours, empêchent sans doute le développement de l'intelligence. Tout comme l'ennui forçait les enfants à la lecture le désordre de la vie estudiantine traditionnelle contribuait à l'épanouissement intellectuel de nos élites. Le temps de cet épanouissement a été supprimé. Accumulations de vidéos (entre 6 et 10 ans) et de concours (entre 18 e 25) convergent pour créer en France un problème majeur de déficience cognitive.
C'est du propos de bistrot. Mettre dans un raccourci le cursus complémentaire des X et les mômes devant la télé entre 6 et 10 ans, il faut le faire.
La formation à l'X a toujours été complétée par l'obtention d'un second diplôme d'enseignement supérieur (début 20e siècle). Les étudiants peuvent choisir entre une école d'ingénieur ou un master recherche . Ce cursus est lié à l'organisation des cours à l'X. Il y a actuellement 18 écoles d'ingénieurs qui offrent un complément de formation après l'X, de télécom paris, les ponts, supaéro à ingénieur agronome et l'école de Chimie...Les université étrangères complètent également le panel de formation complémentaires (King's college, Harvard, Princeton, Stanford, Mit, Imperial Collège, Berkeley, Calltec, Columbia, Mc Gill, Mipt(moscou), Delft, Turin, Pise, Shangaî...), le catalogue de formation complémentaire présente cette année 63 universités à travers le monde avec lesquelles les X complètent leur formation et plusieurs centaines de formations complémentaires techniques (agronomie, résistance des matériaux, optique, physique des particules, télécommunications, informatiques, maths appliquées ...) . Le nombre d'X qui complètent par HEC sur une promo de 400 élèves français ? ... réponse 5 .
Mais voilà, ça dit quoi à Todd un master recherche en cybersécurité ou visual computing ? Rien probablement, il ne sait même pas ce qu'un élève y apprend. Alors, c'est plus simple de mettre en exergue cinq double diplômes, même si on ne comprend pas la raison du pourquoi.
Je m'arrête là, cet article est nul et non avenu, une critique de littéraire qui est très très loin d'appréhender le début du commencement de la formation scientifique qui est offerte dans les écoles d'ingénieur en France, et dans les universités françaises de type scientifique. Un des problèmes majeurs de notre société vient aussi de là : la fracture irréconciliable entre un savoir technique dans un monde moderne d'une complexité croissante, et une stagnation des penseurs supposés intellectuels dans une analyse qu'ils prétendent porteuse de philosophie et d'histoire. Le fait est là, il structure d'ailleurs l'enseignement secondaire. On a réussi à virer l'enseignement des maths dans le secondaire et d'augmenter le temps dévolu à la philo et à l'histoire. On prend un chemin qui va nous faire pondre encore plus de philosophes à la noix qui prétendent analyser une formation intellectuelle scientifique dont ils n'y comprennent que dalle.
Je pense que le mal est là, il révèle dans sa splendeur la décadence de notre organisation.