ProfGrincheux a écrit : ↑31 mai 2020, 16:34
Tu sais aussi bien que moi que le fait qu'un papier soit publié n'est pas une garantie qu'il soit correct. Ça signifie que les referees n'ont pas trouvé de problème ou que le rédacteur en chef est passé outre.
Quand je veux utiliser un papier de maths sérieusement, et que je ne comprends pas tout, je vérifie les lemmes. Parfois il y a un problème. D'ailleurs ça m'est arrivé de me gourer et de devoir pondre un erratum. Parce que j'étais allé trop vite et que les coauteurs aussi. Aller trop vite c'est augmenter le risque de raconter n'importe quoi. Si tu te trompes trop souvent, surtout si tu tardes à la reconnaitre, tu te fais dépecer par les concurrents. J'ai des tas de copains tres brillants, a qui c'est arrivé.
Oui, mais justement, la publication n'a d'enjeux en terme d'échéance que pour l'estime et la notoriété du chercheur. Non seulement le peer reviewing n'est pas un processus réellement efficace de vérification des calculs, mais on est bien d'accord sur le fait que le mécanisme n'est là pratiquement que pour organiser une course à la publication, un arbitrage. Là, il s'agit de sauver des vies. C'est fondamentalement différent.
ProfGrincheux a écrit :
Ensuite la critique que tu fais est légitime.
Dans ce cas précis il y a une immense demande sociale et de l'impatience. On peut faire de la politique médicale ou de la médecine dans ces conditions mais pas de la science. La politique scientifique (ce que font les types des comités) ce n'est pas de la science, c'est de la politique, c'est à dire de la distribution de pognon. Heureusement le pognon ne fait pas tout dans tous les domaines. Parce que le pognon va aux idées à la mode mais parfois elles foirent ou ce sont les idées pas à la mode qui vont marcher mieux. En maths le consensus est qu' il vaut mieux donner peu à beaucoup que beaucoup à peu. Mais les maths ca ne coute pas cher. Hélas quand ça coûte cher (genre en physique des particules) il faut choisir à qui tu donnes le pognon.
Maintenant la jonction des deux mondes, elle se fait au niveau des financements, comme tu le soulignes.
Or, ce qui arrive met en lumière ce qui existe à bien des égards dans des domaines de recherche "tendance". Regarde ce qui se passe en matière de réchauffement climatique, et de financement de la recherche.
Nous ne sommes pas dans cette dichotomie "pas cher" vs "pulpeux", mais justement, la science se dévoie complètement à fonctionner ainsi. Je pourrais développer, mais je l'ai déjà fait, notamment sur le fil du RC.
ProfGrincheux a écrit :
Maintenant rappelle toi l'affaire du sang contaminé.
Voila ce dont je me souviens:
1) Les responsables de la politique médicale et les politiques les dirigeant avaient pris des décisions sur des bases erronées. Ça a fait de gros dégâts.
2) Ces bases se sont révélées erronées en cours de route et ils ont mis du temps à réagir, un ou deux mois après la publication des papiers (sur lesquels évidemment il n'y avait pas 100% de certitude mais 95% au mieux).
3) Ca s'est terminé par un procès-lynchage. Et on ne pouvait faire aucune remarque sur le lyncheur en chef Edmond-Luc Henry parce qu'il était une victime.
J'ai vécu ce scandale et un autre également, celui de l'encéphalite spongiforme bovine, qui a d'ailleurs éclaboussé plus le gouvernement britannique que la France à l'époque.
POur le scandale du sang contaminé, je te redonne quelques grandes lignes qu'on retrouve très facilement sur wikipédia :
Acte 1, scandale médical a écrit :Le 25 avril 1991 dans l'hebdomadaire L'Evènement du jeudi, la journaliste Anne-Marie Casteret publie et rend public aux yeux du grand public le rapport de la réunion confidentielle du 29 mai 1985 du CNTS. Sa lecture déclenche l'indignation de la population qui constate que les médecins chargés des produits sanguins ont sciemment laissé contaminer des patients avec des produits sanguins frauduleux en ayant considéré prioritairement des considérations économiques sur les impératifs éthiques de protection sanitaire de la population. Elle est bientôt relayée par Libération, Le Canard enchaîné, Le Figaro, Ouest-France, l'émission Le Droit de savoir sur TF126.
Le 3 juin, Michel Garretta démissionne de son poste de directeur du CNTS percevant 3 millions d'indemnités. Le 21 juin, il est inculpé par le juge Sabine Foulon pour infraction à la loi de 1905 sur les fraudes pour avoir laissé sur le marché des produits corrompus et toxiques. Jean-Pierre Allain est également inculpé sous la même charge. Les professeurs Jacques Netter et Jacques Roux sont également inculpés pour non assistance à personne en danger7.
L'ampleur du drame n'est connue qu'en août 1991, avec la publication d'un rapport du Centre national de transfusion sanguine, qui affirme qu'un hémophile sur deux a été contaminé, soit près de 2 000 personnes dont des enfants. Les retards accumulés entre la fin de l'année 1984 et la fin de l'année 1985 pour les produits chauffés, et entre juin et la fin de l'année 1985 pour les tests de dépistage, représentent de vingt à trente personnes transfusées par mois (hémophiles ou non) sur les 2 000note 4. Le scandale éclate car il est prouvé que 50% des contaminations sont le fait des actes et décisions du CNTS seul. Aux centres CTS de Grenoble et Lyon qui ont davantage pris de précaution le taux de contamination atteint 15%5.
Le 27 octobre 1991, Michel Garretta, sur la chaine de La Cinq, face à Jean-Pierre Elkabbach, reconnaît des erreurs et considère qu'il s'agit d'une responsabilité collective : "je reconnais des erreurs et je me reconnais responsable... Ce que je n'accepte pas aujourd'hui, c'est une conspiration du silence26,30". Le 31 octobre, Michel Garretta déclare "qu'au vu des recherches en 1985, personne ne pouvait prendre une décision pour la chauffage et le dépistage" malgré les alertes initiales de la firme Travenol Hyland en 1983, les recommandations du CDC d'Atlanta, de la Fédération nationale américaine de l'hémophilie (FNAH) d'octobre, et celles des sommets internationaux de la transfusion sanguine de Juillet à Munich et de Novembre à Tokyo en 1984 et celles pratiquées à l'échelle locale par les CTS notamment celui de Lille.
Repris par la presse française dans son ensemble, qui va enquêter et confirmer les découvertes, le scandale médical prend une tournure financière et politique en raison des révélations sur l'état de la holding Espace Vie qui dirige le CNTS et sur les retards de l'administration dans l'adoption des mesures sanitaires nécessaires.
Acte 2, scandale financier a écrit :
En parallèle, Le Canard enchaîné révèle que les membres de la Holding Espace Vie et le directeur du CNTS se sont attribués un intéressement sur le résultat d'exploitation de 0,3 à 0,06% avec un plafond de 200 000 francs et 400 000 francs pour Michel Garretta.
L'Express met en lumière le désastre financier ou s'abime la fondation CNTS : son bilan présente un déficit pour la seule année 1990 de 78 millions de francs. Son passif (dettes) est de 200 millions de francs. Le quotidien fait état des salaires des membres de la direction de 500 à 800 000 francs annuels avec des frais de fonctionnement extrêmement élevé des dirigeants soit 38 millions de francs en 6 mois. L'audit diligenté par la DGS confirme les révélations.
L'audit financier est effectué au vu du scandale par l'Inspection Générale des Finances mené par Laurent Vachey. Publié en octobre 1991, il confirme l'état financier délabré de la holding, pourtant bénéficiaire en 1988 avec un excédent de 34 millions de francs pour 200 millions de subventions annuelles. Il est fait état sur le plan financier d'une fondation exsangue comptabilisant un découvert de 195 millions de francs pour la seule année 1991 et un endettement de 208 millions d'euros dues à une stratégie d'investissements notamment en filiales bio technologies toutes déficitaires. Il est indiqué que "la situation est imputable aux dirigeants qui ont eu des ambitions démesurées par rapport aux capacités financières, sans réflexion stratégique et souvent sans maitrise des choix faits2".
Il apparait en parallèle que les autorités de tutelle n'ont effectué aucun contrôle sur les choix financiers et la politique sanitaire menée par les dirigeants du CNTS.
Acte 3 , le scandale politique a écrit :
Le 15 juin 1991, l'Inspection Générale de l'Administration de la santé (IGAS) est sollicitée pour faire une analyse des décisions prise sur la période. Ce rapport dit Rapport Lucas, du nom de son auteur Michel Lucas [archive], inspecteur général aux Affaires Sociales est remis et publié en septembre 1991 et vient confirmer les révélations précédentes et notamment : la primauté des considérations économiques sur les considérations de protection sanitaire établissant que la danger de la contamination par les produits sanguins étaient connues fin 1984, la prise en charge par l'administration du virus du sida comme l'ensemble des problématiques médicales26,7.
Il expose les révélations sur les blocages sur l'homologation sur le test de la firme américaine Abbott pour permettre à l'institut Pasteur de proposer une solution concurrentielle pour le marché national, sont rendues publiques. Il est révélé que le test Abbott aurait pu être validé dès le mois d'Avril 19855. De même, il démontre le manque coordination et de synchronisation entre la haute administration, les responsables scientifiques et politiques7,26,22.
Edmond Hervé, attaqué en tant que ministre de la santé de 1983 à 1986, en ayant refuser la généralisation des tests, se défend en invoquant les incertitudes médicale de l'époque et le rôle dévolu aux experts médicaux. Georgina Dufoix est également critiquée pour avoir refusé la prise en charge par l'assurance maladie du coût des tests évalués à 200 millions de francs ce position partagée alors par celle de l'Economie, des Finances et du Budget. Pour Georgina Dufoix, il apparait que sa décision de refuser de prendre en charge le dépistage systématique rentrait en infraction direct avec la loi du 21 juillet 1983 article 8 qui imposait la suspension obligatoire de tout produit déterminé comme dangereux pour les malades5,22.
Les responsables politiques et la haute administration sont mis en cause pour la prise de décisions contradictoires sans coordination entre elles comme la continuité des collectes de sang en prison, point qui est reproché à Edmond Hervé, malgré les recommandations de la DGS, et plus grave, illégales. Il apparait au fil des enquêtes et révélations que l'objectif d'auto-suffisance a dominé la prise de décisions des politiques avec un horizon à court terme. La révélation que les stocks de sang contaminé ont été remboursés par l'assurance maladie jusqu'en 1er Octobre 1985 achèvent de décrédibiliser l'ensemble des responsables administratifs et politiques et l'Etat. L'ensemble des enquêtes journalistiques et celles menées par les pouvoirs publics permettent de comprendre que face à l'épidémie du VIH, des produits sanguins sûrs étaient disponibles et que les responsables médicaux français les ont produits et importés que beaucoup plus tard malgré les enquêtes, études sanitaires, recommandations scientifiques internationales et alertes des firmes étrangères et des personnels de terrain en France4.
[...]
Le 22 octobre 1991, Jacques Roux, ex-directeur général de la santé et démissionné, témoigne sur le plateau de France 2 et dénie toute responsabilité indiquant qu'il a alors en poste diligenté une enquête administrative de l'IGAS et scientifique et technique, jamais obtenu pour ce dernier, sur le fonctionnement du CNTS suite au limogeage du président Jacques Ruffié en février 1985. Il témoigne également avoir informé les ministres et soutient que le manque de réactivité de l'administration était lié au coût de la prise en charge des tests de dépistage dans un période de restriction des dépenses publiques3
[...]
Le 26 juillet 1992, François Gros reconnait, sous serment, les faits concernant le retard pris dans la validation des tests Abbott et Organon par rapport à ceux de l'Institut Pasteur «On a cherché à donner sa chance au test Pasteur, sous la pression du ministère du Redéploiement industriel» dirigé à l'époque par Edith Cresson25.
Pour quel bilan ?
Fin 1991, la France est le pays européen connaissant le plus de personnes contaminées par le virus du Sida avec une transfusion sanguine avec une proportion de 14,5 pour 100 000 habitants. En comparaison, la proportion était de 1,5 en Angleterre pour 100 000 habitants, 2 en République Fédérale d'Allemagne, 6,4 en Belgique5. La France apparait comme le pays où la proportion des hémophiles et des transfusés contaminés est l’une des plus élevées en Europe avec un taux sur la période de 1983 à 1985 de 1 pour 1 700. Le nombre des dons infectés contaminant des receveurs apparait quatre fois plus important qu'en l’Italie, cinq fois qu'en Espagne, six fois plus qu'en Allemagne et 10 à 12 fois plus important qu’en Grande-Bretagne (voir paragraphe spécifique)
il y a encore plein de choses à dire sur cette affaire du sang contaminé.
Cet exemple n'a rien changé finalement, ni dans la conduite d'une politique totalement tournée vers des intérêts financiers, ni dans le nettoyage régalien qu'aurait du faire l'état.
ProfGrincheux a écrit :
Ici les types (et la nana Agnès Buzyn qui les commandait) ont merdoyé 1 ou 2 mois conduisant les grands chefs à prendre une décision barbare qui aura des conséquences catastrophiques. Ils n'avaient pas nécessairement le choix d'ailleurs.
Non, Agnès Buzyn a déclaré "on savait que c'était une mascarade, on aurait dû tout arrêter depuis deux mois. " Elle a assuré avoir transmis des notes au premier ministre, et au président de la république.
Je n'appelle pas cela merdoyer. J'appelle cela agir sciemment en ayant les responsabilités, le pouvoir d'action et une connaissance des enjeux. Il n'y a aucune ambiguïté.
Depuis deux mois, on voit que le premier ministre à le trouillomètre à zéro. Brusquement, il est revenu à un semblant de fonctionnement raisonné et cohérent, il a pris des mesures, il a fait des points d'avancement du confinement et du déconfinement. Les interventions avec Veyran sont devenues plus raisonnables, plus sensées, sans doute critiquable sur certains points, mais avec une gestion de la crise qui semble digne et intelligente. Pendant ce temps, le patron du premier ministre, il fait des coucous avec son masque, il se pointe en banlieue pendant le confinement, il téléphone à Jean Marie Bigard... Il est sur une autre planète. Comme la porte parole du gouvernement qui en début de pandémie prend les gens pour des kons, raconte des mensonges...
Très clairement, il y a eu deux temps dans cette gestion de crise. Un premier temps avec des branques incapables et irresponsables, puis réveil au son du canon, avec un premier ministre qui prend les pétoches, et la communication et l'action s'organise autour d'un plan de confinement et de déconfinement enfin sérieux.
Ces gens ont voulu le pouvoir et les responsabilités. IL y a deux ans de cela, pour un truc bien moins grave, le président de la république a déclaré "qu'ils viennent me chercher". Quand on prétend à une investiture, on assume les responsabilités, on fait pas le singe et on ne met pas en place des clowns qui ont agi comme ils l'ont fait.
ProfGrincheux a écrit :
Il y a des gens qui se sont portés ou vont se porter partie civile donc je pense qu'il y aura un procès plus haineux encore.
Je l'espère vraiment très fort. Un ami à moi va voir toutes les semaines sa mère en Ehpad, il lui fait coucou de la fenêtre sans pouvoir la serrer dans ses bras. Il y a eu des dizaines de milliers de morts. Peut être qu'il y en aura encore plus avec le Brésil ou les USA, mais il est important que chacun assume ses responsabilités. Je comprends le sentiment de haine qui peut animer des gens qui ont perdu leurs proches dans cette affaire. D'ailleurs, quand je dis leurs proches, cela peut être leur job ou leur santé. Dans l'état actuel des choses, on peut se tromper quand on prend une décision, mais ne rien faire est incontestablement une erreur, et servir des intérêts qui ne sont pas ceux des concitoyens est plus qu'une erreur, cela peut devenir un crime. Il me parait absolument nécessaire que la justice fasse son travail.