Emmanuel Macron « a décidé de lancer les Etats généraux de la justice » à la rentrée, a annoncé, samedi 5 juin, l’Elysée. Dans un communiqué, le chef de l’Etat souligne son « profond attachement » à « la séparation des pouvoirs », alors que l’institution judiciaire est vivement critiquée par des élus politiques et des syndicats policiers. Le président de la République souhaite notamment que « le garde des sceaux rende compte chaque année au Parlement de la politique pénale du gouvernement », précise l’Elysée.
L’annonce a été faite vendredi soir lors d’un entretien à leur demande avec Chantal Arens, la première présidente de la Cour de cassation, et François Molins, le procureur général de la Cour de cassation, en présence d’Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Selon nos informations, Mme Arens et M. Molins avaient écrit lundi au chef de l’Etat. Cette rencontre a eu lieu « afin d’échanger sur la situation de la justice dans notre pays, notamment au regard des préoccupations de nos concitoyens sur la sécurité », précise le communiqué de l’Elysée.
L’idée de réunir des Etats généraux de la justice a été formulée par Mme Arens au cours de la réunion et rapidement acceptée par Emmanuel Macron. Après des semaines d’attaques très virulentes de la justice tant par certains responsables politiques que par les syndicats de policiers, c’est un tableau inquiétant que les deux hauts magistrats ont brossé, entre une certaine désespérance collective, des moyens informatiques obsolètes, ou les effets d’une surpénalisation de la justice au détriment de ses fonctions civiles.
Devant les deux magistrats, le chef de l’Etat a, « durant cet échange apaisé et constructif, rappelé son profond attachement au principe de la séparation des pouvoirs et au principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire dont il est le garant », selon l’Elysée. De même source, ce sont Mme Arens et M. Molins qui ont eux-mêmes suggéré au président l’organisation de ces états généraux, ce « qui n’était pas prévu » avant la rencontre. Les deux magistrats disent, samedi, avoir voulu « tirer un signal d’alarme » face aux « mises en cause systématiques de la justice » et accueillir « avec optimisme » l’annonce présidentielle.
M. Molins s’était insurgé, fin avril, dans une interview au Monde, contre le procès en « laxisme » fait selon lui à la justice, face à la polémique suscitée par la décision de déclarer pénalement irresponsable le meurtrier de la sexagénaire juive Sarah Halimi. Dans cette affaire, Emmanuel Macron avait souhaité un changement de la loi pour que l’abolition du discernement causé par une prise de stupéfiants n’exonère pas de la responsabilité pénale.
Le lancement de ces états généraux intervient également après que la critique de la justice a été parmi les principaux mots d’ordre des syndicats policiers lors d’un rassemblement de milliers de policiers devant l’Assemblée nationale, le 19 mai, en présence notamment du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, et de nombreux élus. Le secrétaire national du syndicat Alliance y avait ainsi affirmé que « le problème de la police, c’est la justice ». Cette critique a été reprise à leur compte par le Rassemblement national et de nombreuses voix parmi les Républicains. Le 25 mai, à l’Assemblée nationale, le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, avait appelé à ne pas « opposer la justice et la police », alors que la préoccupation sécuritaire est, selon les sondages, une des principales inquiétudes des Français.
L’entourage du garde des sceaux a précisé samedi que les Etats généraux de la justice se dérouleront « sur plusieurs semaines à partir de la rentrée de septembre » et « sans autocensure ». « Tous les acteurs de la justice y seront conviés », ainsi que les personnels pénitentiaires, les forces de sécurité intérieures et les citoyens.
Avec ces états généraux, il ne s’agit pas de faire l’équivalent du « Beauvau de la sécurité » – engagé en décembre 2020 pour répondre à la crise structurelle traversée par la police –, mais de remettre à plat un modèle à bout de souffle et de questionner la place du juge dans la société avant de pouvoir établir les priorités en termes d’investissement. A un an de l’élection présidentielle, le président sortant cherche-t-il à nourrir ainsi son futur programme de campagne ? Son entourage s’en défend, évoquant même la volonté d’engager un travail transpartisan qui ferait notamment appel à des personnalités de droite et de gauche.
Organisés à la rentrée, ces états généraux devraient se tenir sur plusieurs semaines, et dans plusieurs lieux dans les territoires, précise l’entourage du ministre de la justice. Y participeront l’ensemble des acteurs de la maison justice – magistrats, greffiers, protection judiciaire de la jeunesse, administration pénitentiaire – mais également les avocats et les notaires. Les citoyens et les forces de sécurité y seront associés. L’objectif serait de mettre tout le monde d’accord sur un même constat avant la fin de l’automne. Une véritable gageure dans une période qui ne s’y prête guère.
Ces états généraux dépasseront donc largement le débat sur les relations entre la police et la justice. Dans une tribune publiée sur le site de L’Obs le 21 mai, la conférence des premiers présidents de cours d’appel avait annoncé sa volonté de convoquer dans les prochains mois des assises de la justice pénale rassemblant « tous ceux (parlementaires, élus, policiers, gendarmes, avocats, journalistes, représentants d’associations) désireux d’un dialogue sincère, serein et constructif avec les magistrats et fonctionnaires de justice ». « Les juges sont habitués à être présentés comme les boucs émissaires d’une délinquance qu’aucune société n’a jamais réussi à éradiquer », affirmait ce texte proclamant : « Il est temps de dire : ça suffit ! »
Ces états généraux « n’étaient pas une demande » des principaux syndicats de magistrats, qui « demandent au président de la République depuis plusieurs mois de se positionner pour que la séparation des pouvoirs soit respectée », a réagi Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature. « Pourquoi pas [des états généraux], mais il faut voir les modalités et qu’il y ait une réelle volonté d’écouter », a-t-elle également commenté, estimant que « cela fait quatre ans que les professionnels de la justice ne sont pas du tout entendus ». Avocats, magistrats et greffiers avaient notamment vivement combattu, y compris dans la rue, la réforme de la justice promulguée en mars 2019. « Ce dont la justice a besoin, insiste Mme Dubreuil, c’est d’arrêter les réformes incessantes, et de moyens. »
Le Conseil national des barreaux, qui regroupe les 70 000 avocats français, réagit, lui, « favorablement » au lancement d’états généraux, qui « devenaient nécessaires dans le contexte d’accusations de laxisme de la justice et dans un contexte d’accumulation de réformes », selon son président, Jérôme Gavaudan. « Ce que nous ne voulons pas, et on sera très vigilants sur ce point, c’est que ça puisse devenir un lieu de pugilat politique ou électoraliste » à l’approche de l’élection présidentielle de 2022, a-t-il poursuivi.
Emmanuel Baudin, secrétaire général de FO-Pénitentiaire, voit dans l’annonce présidentielle « plutôt une bonne chose. Mais on attend de voir ce qui va être mis dedans. (…) Il ne faut pas que ce soit [seulement] les magistrats, il y a un vrai sujet sur la prison ». FO-Pénitentiaire avait écrit le 12 mai à Emmanuel Macron, après les propos virulents envers la justice tenus par des policiers rassemblés devant l’Assemblée nationale, lui demandant « d’acter l’ouverture d’états généraux de l’administration pénitentiaire sous la responsabilité du garde des sceaux ».