Jeudi 20 janvier, Chloé Le Bret, conseillère municipale de Grenoble déléguée à l’Égalité, a démissionné de son mandat avec fracas. La cause ? Des désaccords dans l'équipe d'Éric Piolle autour des « opérations burkini » dans les piscines de l’agglomération, menées par l'association Alliance citoyenne. Une énième illustration des déchirures à gauche face à l'islam politique.
Avis de tempête autour des piscines grenobloises. En cause, le règlement dictant la longueur des maillots pour se baigner dans ces équipements municipaux. Le sujet n’est pas anodin dans la capitale des Alpes, puisqu’il a conduit ce jeudi 20 janvier la conseillère municipale déléguée à l’Égalité Chloé Le Bret à démissionner de son mandat. En cause : la décision de la Ville de ne pas statuer sur ce point, à l’issue d’une médiation menée pendant deux mois avec l'association l’Alliance citoyenne.
Pour comprendre les enjeux, il faut revenir plus de deux ans en arrière. En 2019, cette association controversée organise plusieurs opérations coups de poing dans les bassins : des personnes s’y baignent vêtues de maillots de bain couvrants, contrevenant ainsi au règlement intérieur. L’apparition du burkini – mot-valise issu de la fusion de « burqa » et de « bikini » – provoque comme souvent un tollé au plan local comme national, auquel le maire écologiste Éric Piolle finit à répondre, sans convaincre. Nouvelle polémique l’été dernier avec une opération similaire, encore portée par l’Alliance citoyenne.
Le sujet revient aujourd’hui sur la table, car l’Alliance citoyenne s’est saisie en septembre du « dispositif municipal d’interpellation citoyenne » mis en place par la mairie. Celui-ci permet, à partir d’une pétition de plus de 50 signatures – celle d’Alliance citoyenne en compte 2200 –, d’engager une « médiation d’initiative citoyenne », soit trois rendez-vous avec les élus pour trouver un terrain d'entente. Et à l’issue de cette procédure, la ville de Grenoble a décidé ce mercredi 19 janvier… de ne rien décider pour l’instant.
« Notre réflexion a démarré en interne et n’a pour l’heure pas abouti », indique l’élu Antoine Back, coprésident du groupe majoritaire Grenoble en commun de la municipalité. Un sujet qui ne date pourtant pas d’hier. « Il ne vous a pas échappé que l’installation de ce nouveau mandat a été pas mal perturbée, avec notamment une pandémie à gérer […] La nouvelle équipe est composée de 45 élus, dont la moitié ne vient pas du monde militant. Sur un sujet aussi complexe, tout le monde ne part pas des mêmes présupposés. Il faut accepter le temps de la persuasion. […] Après un temps de formation à la laïcité cet automne, nous pouvons affirmer que non, la question de la longueur des maillots ne relève pas de la laïcité, mais d’hygiène et de sécurité. […] C’est notre méthode : 1- on s’instruit ; 2- on débat ; 3- on décide. […] Ce sera pas forcément une décision unanime mais elle sera collective. Et il va falloir qu’elle arrive vite, pour le bien de tous. »
Chloé Le Bret, elle, a visiblement trouvé que cela traînait trop. L’ex-élue (que nous n’avons réussi à joindre) donne quelques éléments dans les colonnes du quotidien régional le Dauphiné libéré : « J’ai très vite compris que [ce sujet] était resté en stand-by par manque de courage politique et en raison de différents calendriers électoraux […] Dans cette majorité grenobloise, on a pris l’habitude de refuser les sujets compliqués. Ou alors on recherche un consensus mou. Cela montre la faiblesse de la maturité politique de cette équipe. »
Antoine Back regrette « que ça ait pris cette tournure. Chloé est une personne qu’on apprécie beaucoup, qui porte une certaine radicalité. Elle vient du monde militant ; peut-être que le cadre institutionnel était trop contraignant pour elle. »
Effectivement issue du collectif #Noustoutes, dont la section iséroise soutenait l’été dernier les « opérations burkini » dans les piscines, son départ n’est donc pas si étonnant. Mais plus que le fond, elle évoque dans le même entretien des questions de forme : l’« impression qu’on venait nous surveiller », lorsqu’une personne du cabinet du maire est venue assister à la dernière rencontre avec l’Alliance citoyenne. « Un signe de défiance » et une « rupture de confiance » pour elle. Avec le sentiment d’être « méprisée » de la part du maire, puisqu’elle n’a pu le joindre à l’issue de la réunion.
L’Alliance citoyenne confirme à Marianne les éléments décrits par Chloé Le Bret. « Le départ de cette élue qui était à l’écoute est un symbole fort », analyse Elies Ben Azib, directeur Grenoble de l’association. « Encore une fois, c’est une femme qui part face à l’obstination d’un homme pour qui les droits des femmes passent après de petits calculs politiques », fustige Amel, porteuse de la pétition, avec une définition très contestable des droits des femmes…
Sur le fond, les militantes ne devraient pas tarder à repartir au combat : « Dans le dispositif d’interpellation citoyenne [via l’activation du second palier], à l’Hôtel de Ville ou dans les piscines municipales, Éric Piolle n’a pas fini d’entendre parler de nous. »
Pour les oppositions, l’occasion est trop belle de voir la majorité se déchirer ainsi : « Cette équipe n’est pas du tout un arc humaniste ! » vitupère la députée LREM et conseillère municipale Emilie Chalas. « Elle est constituée d’un pan progressiste et modéré, principalement des anciens PS. Eux ne comprennent même pas que l’on puisse discuter [du burkini] ; un pan France insoumise, étonnamment pas les plus vociférants ; et puis, un pan écolo, très idéologisé, clairement les plus déjantés. […] Chloé Le Bret est un peu la caricature de ce féminisme contemporain, bouffi de certitude, en mode intersectionnalité, woke et pro-burkini. » Ce qui explique selon la Marcheuse qu’Éric Piolle ait toujours été gêné par ces questions : « S’il dit oui au burkini, il perd son aile modérée. S’il dit non, il perd les plus radicaux. Donc il reste dans ce "consensus mou". J’ai un avis plus clair : le burkini, outil patriarcal qui vise à cacher le corps de la femme du regard des hommes, c’est non. C’est aux hommes de se retenir, pas aux femmes de se cacher ! »