Bonsoir, j'avais rédigé une réponse pour un post plus haut dans la file; en ce moment, j'ai très peu de temps, et la conversation avait évolué, je l'avais donc mis dans ma poubelle ... à la réflexion, je le mets quand même. C'est assez bouratif, et pas forcément intéressant, mais bon ... pour une fois j'aurai pas tartiné pour rien.
Jeffrey a écrit :Bonsoir,
fabriceb a écrit : Que dégagé d'un biais concurrentiel monétaire, l'industrie Allemande s'est montrée supérieure à celle de ses concurrents directs, et que dans le même temps elle n'a pas augmenté son niveau de vie en dilapidant une monnaie commune.
On peut le dire autrement : en matière de compétitivité, l'euro a transféré un risque qui était (depuis 1920, je dirai) d'ajustement monétaire en un risque d'ajustement social.
Vous voyez le premier mode d'ajustement comme un "biais" (terme péjoratif)
non,
http://www.cnrtl.fr/definition/biais
je le vois comme un moyen de résoudre un problème. Aucun jugement de valeur personnelle dans mes propos, simple analyse. Mais est-ce essentiel ?
Disons que le terme biais est, au mieux utilisé comme "moyen détourné" (notion de détournement), avec, souvent une notion pas très positive.
De toutes façons, mon propos n’est pas de polémiquer, mais je persiste à penser que le choix du vocabulaire (« biais », « dilapider ») n’est que le fond remonté à la surface … Je ne vous critique pas, je pense que tout le monde fait de même (même en étant conscient du travers). Je vous invite cependant à y réfléchir.
Jeffrey a écrit :
Je suis désolé, mais ça, c'est ce qu'on dit quand on ne fait pas partie de l'opinion majoritaire. A chaque élection, il y a un tas de candidats qui se déclarent pour la sortie de l'euro. Si c'était l'opinion majoritaire, alors Dupont Aignan, Lepen ou Mélenchon seraient aux commandes. Donc, non cela n'a pas été imposé aux français contre leur volonté. Les peuples ont les gouvernements qu'ils élisent.
Non, vous savez très bien que c'est plus compliqué que cela; c'est pour cela que je ne crois pas que les eurosceptiques soient majoritaires aux prochaines européennes (en revanche, l'abstention risque d'être explosive) : il n'y a pas d'offre politique modérée et eurosceptique.
En d'autres termes, ce n'est pas parce qu'on est favorable à la sortie de l'euro (resp. qu'on a voté NON en 2005) qu'on est prêt à voter LE PEN ou MELENCHON; quant à DUPONT-AIGNAN, il n'est pas un parti politique à lui tout seul.
C'est là que vous vous trompez d'après moi. Le choix était clair dès le début. L'euro a été conçu comme une monnaie forte, pour éviter les déflations successives des pays à monnaie faible. L'enjeu ? Dès le début, c'était la maitrise de l'envolée de la facture énergétique et ne plus être dépendant d'une politique économique qui se décide outre-Atlantique. Quand la parité Euro a été créée, au départ, un Euro valait grosso modo un dollar. Ensuite, le dollar a commencé à prendre le dessus, et là, cela a été la grosse crise d'angoisse pour l'Europe. Tout le monde s'est réjoui que l'Euro redevienne fort. L'idée de départ était de réduire les factures externes à l'Europe, notamment les factures énergétiques (donc faire en sorte que la monnaie soit forte), tout en créant un marché intérieur de la taille d'un continent pour développer un commerce intra-Europe, sans ressentir les effets négatifs d'une monnaie forte - donc éviter les biais liés à la politique monétaire à l'intérieur des pays européens.
Non, le choix n’était pas clair ou, tout au moins, a été présenté d'une manière fortement tromqué : effectivement, ce qui avait été vendu à l’époque, c’était d’avoir notre propre monnaie « de référence » face au dollar, avec un euro fort dont on nous vantait les mérites. Sauf que, étrangement, on a oublié, à cette époque, de signaler qu’il y avait une contrepartie à ce deal :
Pour commencer, on a « oublié » de souligner qu’une monnaie forte est ce que les britanniques appellent un « mixed blessing » : lesdits britanniques vivent fort bien avec une livre qui a perdu plus de 20% en 5 ans, et ca contribue à relancer leur compétitivité, qu’on le veuille ou non. Bien entendu, une monnaie forte donne un certain sentiment de fierté et, concrètement, permet d’acheter le pétrole à prix réduit, ce qu’on n’a pas manqué de souligner à l’époque … mais, en terme de compétitivité, ce n’est pas très bon, et … devinez quoi … cette dernière part n’a pas été mis en avant.
Surtout, on avait juste « un tout petit peu oublié » de préciser que, tout se payant dans la vie, la contrepartie était précisément le transfert d’un risque de marché à un risque social en ce qui concerne les ajustements de compétitivité, à la fois internes et externes à la zone euro.
A ce niveau de la discussion, vous avez renvoyé le point 2 à la construction de l’Europe sociale.
D’abord, il serait assez cohérent, dans ces conditions, de commencer par parler de la convergence du social (ndlr : vous l’avez introduit dans la suite de la discussion), et il me semble paradoxal, dans ces conditions, de commencer la discussion par pester contre le modèle social français trop généreux, sans même se poser la question de la manière de réaliser la convergence. Dit autrement, si il s’agissait d’une convergence sociale, il faudrait quand même discuter de la base de convergence plutôt que d’entamer la discussion en affirmant, qu’en la matière, telle ou telle manière de faire (et singulièrement la française) serait de la « dilapidation », serait « trop dépensière », ou constituerait une « poutre dans notre champ de vision ». En bref, je trouve que même votre propre argumentation et celle des autres pro-euro (au passage vous confondez la position sur l’euro et la position sur l’Europe) suggère que l’Europe sociale, vous n’y croyez pas vraiment.
D’ailleurs, même sur ce forum ou, par nature, on manipule des idées très théoriques, l’Europe sociale, ce n’est pas vraiment un sujet de discussion : je crois qu’en dix ans, ce doit être la première fois ou on l’évoque … et encore, d’une manière très générale et théorique.
Ensuite, pour en revenir à la manière dont a été introduit l’euro, je note que, dans le contexte de l’époque (et pas seulement), il n’y avait ni perspective ni même volonté sérieuse de constituer une Europe sociale qui aurait permis de supposer qu’on allait s’affranchir de mon point 2 de cette manière. On peut d’ailleurs observer que même lorsque, par la suite, la totalité (ou quasi-totalité) des gouvernants ont été sociaux-démocrates, il ne s’est pas passé grand-chose au niveau de l’Europe sociale, et les conventions du conseil de l’Europe restent plus protectrices que le droit de l’UE (en gros, les protections sociales de l’UE correspond aux versions « de base » -celle de 1968- de la charte sociale du conseil de l’Europe).
Surtout, j’observe que personne, au niveau des décideurs européens n’aborde, et même n’a jamais abordé, le problème de cette manière ; l’Allemagne elle-même, qui fut la première à « passer à la caisse » sociale au début des années 2000, a ajusté son modèle social sans la moindre tentative préalable de mettre en place une Europe sociale, et les pays en crise actuellement sont pressés par les autorités Européennes d’en faire de même … là encore, sans la moindre volonté d’établir une Europe sociale, même dans les discours. Il s’agit de recul social, c’est tout. Il est évident que les pays qui n'y sont pas passé (France, Benelux ...), vont suivre le même chemin.
Je ne conteste pas que la tâche soit difficile, car elle touche à l’identité propre à chaque population, et vouloir faire une Europe sociale à 27 avec des pays aussi différents que la Suède et la Roumanie, c’est quand même vaguement compliqué … ce que je conteste, en revanche, c’est que les dirigeants aient pu penser sincèrement, en 1992, qu’une Europe sociale apparaitrait rapidement qui allait permettre d’éviter que les ajustements de compétitivité à venir ne reposent uniquement sur une concurrence entre modèles sociaux, une fois supprimé le levier monétaire. Je conteste encore plus qu’aujourd’hui, il s’agisse d’une solution réaliste à moyen terme pour sortir du dilemme de la concurrence des modèles sociaux.
Aujourd’hui, l’Europe sociale, à part un vague slogan qu’on ressort tous les cinq ans et qui m’évoque un sorte, assez banale au fond, de « grand soir » (cf les slogans de campagnes des partis politiques : le slogan du PS en 2009 était … le même qu’en 1979 !!!), on n’en a jamais été aussi loin ; argumenter sur cette idée comme solution aux interrogations posés par l’euro, je trouve que c’est un peu léger. C’est sûr que si tous les gars du monde se donnaient la main, la monnaie unique ne poserait pas le moindre problème, mais si tous les gars du monde se donnaient la main, il n’y aurait, par définition, de problème nulle ne part …
… et dire que personne ne s’oppose à ce que tous les gars du monde se donnent la main ne constitue pas un argument.
Après, bien sûr, si vous partez du principe que l’euro est une chose à laquelle vous refusez de toucher, vous en arrivez à la conclusion inéluctable que l’ajustement doit se faire sur le système social, et je comprends que vous pestiez contre les délais qu’on y met. Symétriquement, certains arrivent à la conclusion inverse, prônent la sortie de l’euro et pestent contre les délais qu’on y met.
Votre option politique est honorable, elle signifie que vous considérez que le service qu’offre l’euro est supérieur à sa contrepartie (encore une fois, la politique, ce n’est rien d’autre que de trancher entre un avantage et son prix à payer). Le hic, c’est que votre façon d’aborder la question contient implicitement la solution que vous choisissez ; vous ne posez pas le problème, vous énoncez votre solution et renvoyez les effets dont vous ne souhaitez pas débattre à une hypothèse purement théorique.
La différence entre vous et moi, c’est que vous faites de l’euro une donnée d’entrée, alors que je le considère comme une option dans la résolution du problème ; à l’inverse, vous pouvez me rétorquer que je fais de l’absence d’Europe sociale une donnée d’entrée (je parlerai pour ma part de constatation et d’anticipation raisonnable). Je pense que cela reflète nos présupposés personnels : vous donnez priorité à l’euro, et renvoyez la préservation du social à une éventualité … très éventuelle dans l’attente (qui risque d’être loooooongue ….) de laquelle on doit adapter notre bilan social.
Pour moi, je constate que cette option (l’euro) a été prise, mais je maintiens qu’elle peut se contester et qu’il est parfaitement honorable de vouloir revenir dessus. Certes, il nous faudrait payer notre pétrole plus cher, et on ne pourrait plus aller jouer les riches aux USA … pour ceux qui ont les moyens d’aller jouer les riches aux USA.
Quelle est mon opinion sur le sujet ? En fait, je n’en sais rien : si la question était aujourd’hui d’entrer dans l’euro ou pas, ce serait un NON sans aucun état d’âme, et je ne pense absolument pas que cela ferait de la France un "parasite" (a t'on d'ailleurs entendu cela à propos des britanniques dont la livre s'est dévaluée de 25% en cinq ans ? On loue, au contraire, leur capacité de rebond ...) ni que cela nous empêcherait d'avoir quelque chose à dire (je ne sais même pas ce que ca signifie). Le hic, c'est que sortir du système euro a un coût, et c’est un saut dans l’inconnu même si je n’ai rien lu jusqu’ici qui me convainc que ce serait la catastrophe à la Martinique … en fait, je n’en sais rien, mais je n’aime pas l’aventure. Ce n’est pas un argument, en fait, mais c’est ce qui me fait hésiter (sans compter que mon opinion n'a pas la moindre importance en fait).
Pour terminer, je voudrais souligner que cette idée de convergence préalable était celle qui a prévalu durant les premières décennies de la construction européenne : alors même que les situations des six pays alors concernés étaient beaucoup plus homogènes que ceux intégrés récemment, l’ouverture des marchés ne s’est réalisé qu’après des périodes transitoires assez longues (ca dépend des domaines, mais certaines ont duré jusqu’au milieu des années 70) qui réalisaient les convergences nécessaires. Cette idée n’est donc pas nouvelle, sauf que, et c’est ce qui fait les problématiques actuelles, elle n’a absolument pas été mise en œuvre pour la création de l’euro : il y a bien eu une période transitoire, mais pas de véritable convergence dans l'un des domaines (majeur qui plus est) les plus impacté. Le pire, dans cette histoire, c’est que ce principe de convergence parallèle avec une ouverture n’est pas une idée révolutionnaire, c’est une idée que l’Europe a simplement fait tomber en désuétude.
Oui oui, merci de votre contribution à vous également. Je n'ai plus rien à dire sur le rôle de la politique allemande concernant l'Euro et sa responsabilité dans les 25% de chômeurs espagnols et leur crise du BTP, dans la crise Grecque, dans le fait que l'Italie s'est choisie comme dirigeant pendant dix ans un magnat de la presse avec des casseroles dignes d'un film mafieux, et tout le reste de ce qui va mal dans la société.
Assurément non ; cependant, l’existence même de l’euro impose de facto un type de solution aux Espagnols et aux Italiens. C’est tout, mais c’est déjà énorme ; du coup, la question de savoir si on veut conserver l’euro en abandonnant le choix sur la solution ou abandonner l’euro et retrouver le choix se pose légitimement.
Comme vous le voyez, je ne reproche rien ni à l'Allemagne ni aux Allemands (si ce n'est peut être, de ne pas avoir cherché à réaliser l'Europe sociale comme solution ou en parallèle de leur ajustement des années 2000); ils ont simplement été les premiers à devoir passer à la caisse.
Il vaut mieux se taire et passer pour un *** plutôt que de parler et de ne laisser aucun doute sur le sujet.