En fait, si nous restons pragmatiques, ce siècle a probablement débuté un premier janvier et a pris fin un 31 décembre comme tous les autres depuis bien longtemps, mais il n’en reste pas moins vrai que des étapes très marquantes ont été franchies. Elles conditionnent encore nos vies aujourd’hui. Sans être exhaustif :
- 1905 : séparation des Eglises de France et de l’Etat
- 1914 : première guerre mondiale
- 1917 : révolution d'octobre en Russie
- 1919 : traité de Versailles
- 1923 : république de Weimar
- 1929 : La grande dépression
- 1933 : New Deal
- 1933 : A.Hitler devient Chancelier
- 1934 : Mao Tsé-toung conduit la Longue Marche
- 1939 : deuxième guerre mondiale
- 1944 : accords de bretton-woods
- 1945 : conférence de Yalta entre Staline, Churchill et Roosevelt
- 1945 : accords USA/Arabie Saoudite sur l’USS Quincy
- 1948 : proclamation de l'Etat d'Israël
- 1971 : fin de la convertibilité or/dollar
- 1972 : début de l’hyperinflation en argentine
- 1973 : choc pétrolier
- 1989 : chute du mur de Berlin
- 1991 : fin de l’URSS
- 1991 : Début de la récession/déflation au japon
- 1997 : Hong Kong est rétrocédé à la chine / Doctrine « un pays, deux systèmes »
- 2001 : mise en circulation de l’euro
- 2001 : Attaque sur le World Trade Center
- 2005 : les résultats économiques de la chine dépassent ceux de la France.
Le New Deal est un autre événement capital. Il inspire la politique des Etats-Unis depuis près de 75 ans et sa fin est proche. Je vous propose d’étudier la succession des circonstances qui ont mené à ce changement radical de la politique américaine.
A la fin de la première guerre mondiale, débute une période faste pour l’Amérique avec un leitmotiv : « nous sommes entrés dans une nouvelle ère, rien ne sera plus jamais comme avant ». Nous savons aujourd’hui que c’est faux à plusieurs titres, notamment à propos du développement économique et des guerres. L’avenir, c’est à dire, le temps passé entre 1920 et 2006, a montré que les guerres et les crises économiques n’ont en rien disparu. Quoi qu’il en soit, c’était le sentiment dominant de cette période que nous appèlerons « les années folles » et qui prendra fin brutalement en 1929. Certes, il y avait eu deux petites corrections de juin 1923 à juillet 1924 et de novembre 1926 à novembre 1927, mais ces courtes périodes de récession avaient été vécues comme une simple reprise de souffle. En quelques sortes, « reculer pour mieux sauter ». Cependant, quelques signaux faibles montraient déjà des dysfonctionnements du système, notamment un grand nombre de faillites de banques rurales au profit de grands réseaux bancaires établis dans les villes. Les gens perçurent ces changements comme la marque du progrès plus que comme un révélateur d’un problème clairement identifié. L’insouciance et l’euphorie étaient corroborées par le fait que la monnaie suprême de l’époque – la Livre Sterling – avait été affaiblie par l’émergence de la monnaie du « nouveau monde » : le dollar. C’était l’époque des industriels innovants faisant naître de nouveaux besoins dans la population tels que l’éclairage électrique, le téléphone, la radio, les fers à repasser, pour ne prendre que quelques exemples qui montrent à quel point cette période a influencé la nôtre. Si, la mode avait été à l’élaboration de « stations de repassage en milieu humide » faisant circuler de la vapeur chaude dans une pièce dédiée à cet effet, cela aurait probablement changé l’avenir et le fer à repasser contemporain que vous achetez à 20 euros n’aurait peut-être pas vu le jour.
A la fin de cette période faste, à l’été 1929, peu d’individus relèvent les lourds déséquilibres qui seront à l’origine du krach. En gros, les gens se caressent dans le sens du poil en se racontant leurs exploits boursiers, en se répétant une phrase du genre « l’immobilier ça ne baisse jamais » et en balayant d’un revers de main les thèses des déclinologues d’alors. Seule une minorité bien informée voit qu’un problème se profile à l’horizon, mais personne ne sait quelle forme va prendre la correction car toutes les données économiques convergent vers le « beau fixe » : La production industrielle tourne à pleins tubes, le chômage est très faible, la pauvreté est anecdotique, le rebond personnel est facile dans un monde en pleine expansion. Plus dure sera la chute.
Ce qui caractérise cette période de fin de règne, c’est que tout le monde prétend avoir une part du gâteau. Ainsi, des petits épargnants qui n’ont aucune idée du fonctionnement de la bourse, se jettent à corps perdu dans la spéculation avec effet de levier, ce qui causera la perte totale des économies de toute leur vie et de leur patrimoine. Ils sont « aidés » en cela par des courtiers – des agents commerciaux en quelques sortes – qui leur indiquent les meilleurs placements en les finançant à crédit. A la fin de l’été 1929, 60 % des placements effectués au New York Stock Exchange sont à crédit. Ils ne sont couverts par aucun capital réel. Mais, tout le monde sait que le progrès est en marche et que nous définirons bientôt de nouveaux standards économiques validant le fait que les placements à crédit rapportent de l’argent. Bientôt le mouvement perpétuel et le paradis sur terre pour les riches nababs que nous deviendrons tous…
Les directeurs financiers des compagnies cotées ne s’y trompent pas, ils divisent leurs grosses actions à 5000 dollars – adaptées à l’investissement – en petites actions à 50 dollars – plus propices à la spéculation. C’est le succès assuré et tout le monde fait état en public de ses plus values virtuelles. C’est l’euphorie totale, d’autant que, je le rappelle, la production industrielle n’a jamais été aussi forte. En vérité, des signaux faibles auraient pu être perçus, notamment si on avait analysé le bilan de la situation : en réalité, la moitié des entreprises côtés ont d’excellents résultats industriels et ont vu leur cote boursière baisser. Est-ce un signe de spéculation généralisée ? L’investissement dans certaines entreprises était-elle déconnectée de leur réalité industrielle ? Pour nous qui avons vécu la période des dot-coms, il semble que ce fut le cas.
Du mercredi 23 octobre au mercredi 13 novembre 1929 : le krach
Le krach présente sa propre petite mécanique interne. Il est d’abord psychologique, technique, mécanique, contractuel puis irrationnel.
Dans les faits, la croissance de l’été 1929 n’était qu’apparente. D’un point de vue strictement bilantiel, les industries étaient déjà entrées dans une phase de récession prononcée en juillet mais les mouvements de capitaux et leur concentration impressionnante sur les 40 valeurs les plus spéculatives de Wall Street maintenaient l’illusion de croissance. La course folle de l’investissement boursier était en décalage total avec les possibilités d’expansion des entreprises concernées. La situation se tendit, la rumeur déclencha la première vague de vente massive mettant en difficulté la totalité des spéculateurs ayant investi à crédit.
Avant le krach, la demande des petits épargnants était telle que les taux d’intérêts de l’époque étaient de l’ordre de 15 à 20%. Compte tenu des plus values rapides escomptées, le loyer de l’argent n’avait aucun poids sur les investissements. Dès le deuxième jour du krach, la situation d’endettement et de découvert étaient alors insoutenable à ce taux d’intérêt, ce qui augmenta le flux des mises en vente.
La mécanique de la transmission de l’information fit ensuite son œuvre. Les investisseurs étrangers, notamment européens, vendirent en masse leurs titres.
Ce fut ensuite au tour des courtiers d’exécuter leurs contrats. Ces derniers prévoyaient la vente des titres si le prix de revente devenait inférieur au prix d’achat. Ce fut une débandade totale.
Enfin, ce sont les aspects irrationnels qui prirent le dessus. De la même manière qu’il fallait acheter pour acheter six mois avant, on décida qu’il fallait se séparer de tous ses titres. C’est aussi irrationnel que la bulle financière elle-même.
Les 6 phases de la grande dépression
octobre 1929 : Krach de 22 jours
novembre 1929 – avril 1931 : Correction jugée « normale » après le krach. L’indice de production industrielle (IPI) marque un recul d’environ 12% par rapport au 23 octobre 1929.
avril 1931 – juillet 1931 : Réplique en provenance d’europe. L’IPI marque un recul d’environ 32% par rapport au 23 octobre 1929.
juillet 1931 – novembre 1931 : Grave crise en Grande Bretagne, Abandon de l’étalon-Or dans une vingtaine de pays. L’IPI marque un recul d’environ 42% par rapport au 23 octobre 1929.
décembre 1931 – juin 1932 : Système bancaire américain en grande difficulté. L’IPI marque un recul d’environ 54% par rapport au 23 octobre 1929. C’est le creux de la vague.
juillet 1932 – novembre 1932 : rebond de la production industrielle.
novembre 1933 – 1941 : New Deal. Difficultés persistantes jusqu’à la déclaration de guerre de 1941. (Pearl Harbor)
Pendant la grande dépression
- Alors qu’en 1925 les dépenses pour la création de nouveaux logements s’élevaient à 4,9 milliards de dollar, elle tombèrent à 290 millions en 1933.
- Sur la même période, le taux d’immigration passait de 1,5% à 0,6% de la population.
- Entre 1929 et 1933 le stock monétaire M2 réduit la voilure de 12% par an, en moyenne.
- Le président Herbert Hoover réagit tardivement à la dépression. Il applique tout d’abord la politique libérale du « laissez-faire » puis, en 1932, il se résout à essayer de réguler le marché. Cette régulation a de bonnes raisons d’être perçue comme un « New Deal » à part entière. Mais ce n’est qu’en 1933 que Franklin D. Roosevelt utilisera cette locution pour vaincre Hoover en assurant une certaine continuité et une accentuation de la politique du président républicain. Typiquement, la FERA (Federal Emergency Relief Administration) de Hoover donnera naissance à la WPA (Works Progress Administration) sous l’ère Roosevelt. Il y a de nombreux autres exemples de ce type. Hoover avait réellement « inversé la vapeur » en arrêtant de se préoccuper des grands noms de la finance au profit du peuple américain. On dit que ses mesures sauvèrent plusieurs milliers de banques de la faillite et, par-là même, des millions de familles américaines de la rue.
- Pendant le début de la grande crise, l’Etat fédéral ne dispose d’aucun instrument pour quantifier l’état de la population. Pas de statistiques de chômage ou de pauvreté. C’est à posteriori que nous apprendrons et analyserons l’étendue des dégâts. En 1933, le Congrès des Organisations Industrielles publie un chiffre de 15.389.000 chômeurs sur une population totale de 124 millions d’habitants. Mais ce chiffre demeure imparfait compte tenu d’un nombre très important de personnes sorties du système que la police s’affaire à chasser des villes et dont la mémoire collective se souvient par l’image du « vagabond » qui nous sont rapportés par les films d’avant guerre, notamment par ceux de Charles Chaplin.
- de nombreuses familles sont jetées à la rue par les tribunaux pour défaut de paiement des loyers et finissent dans le meilleur cas à atterrir chez des proches. Il est très fréquent que plusieurs familles logent sous le même toit, dans des conditions de promiscuité et de précarité importantes.
- Les systèmes gérés par l’Etat sont également touchés. Plus de 4000 établissements scolaires ferment à travers tout le pays. Certains enseignants subissent des retards de salaires de 6 mois, ce qui a pour effet de les jeter à la rue, comme tout autre citoyen en difficulté
- Les citoyens américains cherchent des solutions et beaucoup se tournent vers des thèses révolutionnaires pro-communistes. La culture américaine de l’individualisme fera que les tentatives de déstabilisation resteront cantonnées à une quantité de population n’atteignant pas la masse critique nécessaire à la mise en branle d’un mouvement d’envergure.
- De janvier à février 1933 la FED injecte 900 millions de dollar de nouveaux billets, ce qui est une somme colossale pour l’époque. Elle fait cela pour vaincre les tensions déflationnistes mais elle ne réussit en fait qu’à accentuer la perte de confiance envers le dollar. A l’image de ce qui s’était passé en 1819, finalement assez bien rompu à cet exercice, de nombreux gouverneurs déclenchent le « banking holiday », c’est à dire la fermeture des banques pendant plusieurs jours pour éviter les nombreuses opérations de retraits massifs.
- compte tenu de la gravité de la situation, le président Roosevelt lui-même impose le banking holiday dans tout le pays du 6 au 13 mars 1933
- entre 1929 et 1933 les salaires horaires baissent de 23 % dans l’industrie.
- on constate un phénomène de convergence des revenus entre 1929 et 1936 : Les 20% de la population la moins aisée voit ses revenus augmenter de 27% tandis que les 20% les plus riches voient les leurs amputés de près de 55%.
- en 1929, plus de 500 personnes déclarent un revenu supérieur à un million de dollar, alors qu’en 1932, ils ne sont plus qu’une vingtaine.
Le new deal de Franklin D. Roosevelt
La particularité de Roosevelt est probablement sa volonté de reformer l’état en profondeur sans faire l’objet d’un dogmatisme particulier mais plutôt d’un pragmatisme à toute épreuve. Roosevelt avait dépassé le stade politicien pour s’occuper réellement du destin national des Etats-Unis. Il s’inspire de la politique d’Hoover, l’accentue et complexifie le rôle interventionniste de l’état fédéral par la création de nombreuses administrations de tutelle :
- AAA, the Agricultural Adjustment Administration, mandatée pour établir et maintenir l’équilibre entre l’offre et la demande dans les produits agricoles afin de préserver le pouvoir d’achat des américains tout en garantissant des revenus suffisants aux agriculteurs.
- FSA, the Farm Security Administration chargée d’accorder des prêts à des conditions spécifiques pour les fermiers en difficulté.
- CCC, the Civilian Conservation Corps applique une politique de grands travaux et garantie un emploi salarié à de nombreuses personnes non qualifiées sous l’autorité de l’armée. Dix pour cent des sommes sont affectés spécifiquement à des contingents composés exclusivement de noirs.
- NRA, the National Recovery Administration permet la régulation des salaires, l’ajustement des conditions de compétitivité et le retour à concurrence juste entre les industries.
- NYA, the National Youth Administration permet d’occuper des jeunes chômeurs à des travaux sylvicoles sous l’autorité de l’armée.
- WPA, the Works Progress Administration, assez éclectique, donna du travail à des artistes, à des jeunes non qualifiés dans le bâtiment, à des femmes dans le textile, …
- PWA, the Public Works Administration finance des grands travaux et les fait réaliser par des entités privées.
- SSA, the Social Security Administration fourni une assistance spécifique pour les personnes âgées et les handicapés. Les caisses sont alimentées par les contributions des travailleurs et des entreprises.
- REA, the Rural Electrification Administration est un service public permettant le transport d’énergie électrique dans les zones agricoles reculées.
- TVA, the Tennessee Valley Authority permet l’aménagement de la vallée du fleuve Tennessee notamment en établissant de nombreux barrages.
- SEC, the Securities and Exchange Commission est l’autorité de régulation boursière toujours en activité à ce jour.
- …
Les résultats sont réels mais restent mitigés comparés à l’état de grâce dans lequel se trouvaient les Etats-Unis pendant les années folles. C’est une Amérique en demi-teinte, groggy qui essaye de remonter la pente, pas à pas. C’est probablement ce qui explique l’entrée très tardive des U.S.A dans la deuxième guerre mondiale, forcée par l’affront que l’aviation nipponne leur infligeât par le premier bombardement de leur histoire à Pearl Harbor.
Quoi qu’il en soit, l’abandon de la « good neighborhood policy» au profit d’une politique interventionniste sur tous les continents et toutes les mers du globe associée à une reconstruction de bases solides et justes pour l’économie américaine vont faire de cette fédération d’états le maître du monde pour les 80 années à venir.
Aujourd’hui
Cet équilibre est en train de se modifier sous diverses pressions qui s’accélèrent sévèrement depuis la fin 2005.
- Le réveil de la Chine
- Le rebond de la Russie
- Le retour du Japon
- La situation politique en Amérique du sud qui est devenue suffisamment forte pour s’affranchir des « grands frères » .
- L’axe privilégié qui semble se dessiner entre l’Afrique et la Chine.
- L’affaiblissement de la France en Europe au profit d’économies plus libérales (Italie, Espagne, GB)
- Le chaos au proche orient
- Le passage du peak oil.
- La perte de confiance envers le dollar.
- Le jeu de l’Iran et du Venezuela sur l’échiquier international.
- L’éclatement de la bulle immobilière.
L’abandon du dollar pour les transactions internationales viendra progressivement couper l’alimentation de la consommation intérieure US, avec des « effets de seuil » qui infligeront de lourdes corrections dans divers domaines de l’industrie et de la finance américaine. Ces corrections seront, tour à tour, contrées par les gouvernements américains par des mesures de soutien direct spécifiques ou le déclenchement de nouvelles guerres servant à alimenter le complexe militaro-industriel. Mais il faut se rappeler que c’est l’ensemble du « système dollar » qui permet aux Etats-Unis de financer leurs guerres. Tout défaut dans ce système permet d’affaiblir leur capacité guerrière. Comme parallèle : qu’est-il arrivé à l’armée d’occupation britannique en Inde faute de financement suffisant ? Quelle guerre a pu mener ce pays depuis l’affaiblissement de sa monnaie ? Les Malouines ?
En ce qui concerne l’industrie, le décalage de parité entre l’Euro et le Dollar est de nature à augmenter la compétitivité des USA face à l’Europe. Cependant, il est probable que l’Euro ne suivra pas la chute vertigineuse du dollar pour jouer la politique de « l’Euro fort ». Il est difficile de dire si c’est une bonne ou une mauvaise chose. « L’Euro fort » ne favorise pas l’industrie et, sans industrie solide, toute une frange de notre population demeure sans emploi. C’est de nature à augmenter les déficits de notre pays. C’est un phénomène propice à la déflation.
Une seule question reste en suspend : serons-nous entraînés par le déclin américain ?