L'auteure est sociologue prof d'université en science de l'éducation.Une enquête exploratoire conduite avec nos étudiants de master 2 sur la mise en place des CP à 12, étudiants qui ont réalisé un excellent travail, indique en effet qu’au-delà de la satisfaction exprimée sur un meilleur climat de classe, la possibilité de transformer les pratiques pédagogiques, d’innover, de modifier l’espace de la classe, des meilleures conditions de travail, etc., certains enseignants peuvent manifester la même propension à externaliser la difficulté scolaire et à invoquer des élèves qui seraient pour différentes raisons incapables d’apprendre, la psychologisation des difficultés scolaires[2] coexistant avec la référence à un milieu social par nature handicapant. Ces enseignants, que nous espérons minoritaires, estiment même que l’un des avantages du dispositif est de pouvoir « repérer » plus vite les enfants à besoins particuliers et de les envoyer vers des professionnels de la prise en charge qui vivent du délitement de l’école.
Les enseignants sont encouragés par toute une littérature et un champ d’expertise professionnelle à ces recours qui entretiennent le fatalisme : il est en effet impossible de changer le milieu social d’un élève. Quant à attendre qu’il soit délivré des souffrances psychiques qui l’empêchent soi-disant de « penser », c’est lui laisser accumuler un retard scolaire parfois impossible à rattraper dans les conditions offertes par le système, […]
En ce qui concerne la question des méthodes de lecture (nous préférons le terme, moins réducteur, de démarches pédagogiques[3]) il est des certitudes, qui, quand bien même elles appartiennent au « patrimoine politique » des mouvements pédagogiques et des syndicats de gauche, doivent être remises en cause, notamment lorsqu’elles s’opposent à la réduction des inégalités.
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En particulier, dans quelles conditions la différenciation, inlassablement prescrite s’avère-t-elle profitable ? Rien n’est moins sûr, tant qu’on ne se fixe pas pour objectif clair de réduire les écarts d’acquisition entre les élèves. S’il s’agit simplement « d’adapter » aux besoins des élèves les propositions d’apprentissage et de « tenir compte du rythme » de chaque enfant, on peut tout aussi bien s’ajuster aux inégalités déjà présentes à l’entrée du CP et ce faisant à les reproduire en se contentant du fait que chacun progresse, ce qui peut très bien aller de pair avec une augmentation des inégalités entre les élèves.
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Si l’adaptation aux difficultés des élèves, l’individualisation et la prise en compte du rythme de chaque élève deviennent des fins en soi, on risque de voir se reproduire des formes de différenciation que nous qualifierions de « ségrégatives » et qui consistent tout simplement à faire moduler les exigences et la charge de travail attendue des élèves en fonction de leur niveau plutôt que de travailler à rapprocher les élèves les moins avancés des autres.
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Il faut donc attendre de cette réduction de la taille des classes bien plus que la possibilité de différencier la pédagogie et de faire progresser tous les élèves[8]. Il faut, au contraire de ce qui se pratique inévitablement lorsque les élèves sont trop nombreux, faire travailler plus, demander plus, entraîner plus (par exemple en lecture à voix haute et en travaux d’encodage) ceux qui sont les moins avancés en évitant les subterfuges[9] qui permettent de contourner les difficultés. Plutôt que de célébrer sans cesse les vertus de l’hétérogénéité, il serait peut-être intéressant de réfléchir aux moyens de la réduire pour donner réellement à tous les mêmes objectifs.
J'avais rarement vu de façon aussi éhontée l'aveu que l'objectif princpal est la réduction des "inégalités scolaires" / "écarts d'acquisiton" plutôt que la possibilité de "faire progresser tous les élèves".
Je suppose que les mêmes sont horrifiés ensuite de la corrélation entre conditions socio-économiques et réussite scolaire sans enviager que la variable causale est "capacité à échapper à l'école publique"…
Comment faire pour empêcher ces idéologues de continuer à casser l'éducation nationale ?
Je discutais récemment avec un (jeune) ancien prof de maths qui avait démissioné notamment parce qu'ils était dégoûté d'avoir 25% de sa classe en situation d'échec irrécupérable (mais que madame la sociologue se rassure, ceux-ci n'ont pas redoublé, donc il sont au même niveau que les autres officiellement).