wasabi a écrit : ↑19 févr. 2020, 11:57
Bien sûr que si ça change tout. Qu'est ce qui fait qu'après presqu'un millénaire de stagnation, il y a l'effervescence de la fin du Moyen âge ? Est ce que c'est une invention qui sort de nulle part et qui subitement explique tout ? Non. C'est un changement politique et religieux qui permet le progrès technique, qui lui même permet le progrès politique et religieux, qui permet le progrès technique... Les deux se renforcent dans un cercle vertueux. Ce qui compte finalement c'est l'environnement pour que ce cercle vertueux se mette en place et tienne quand il démarre, et la phase d'initiation. L'environnement pour que ce cercle vertueux se mette en place c'est effectivement l'éducation d'une partie de la population, mais il faut le reste aussi.
Et donc amha dans la cas du moyen âge :
Peste noire -> problème de main d'oeuvre qualifiée -> remise en cause de l'ordre établi de la structure de l'emploi supérieur -> innovations techniques pour transférer le savoir faire de l'acte dans l'organisation des actes. En particulier caractères mobiles de l'imprimerie -> chute des coûts de revient des ouvrages / fin du monopole de l'imprimerie et de la censure concomitante -> diffusion de la bible et des idées nouvelles -> réforme religieuse et politique -> humanisme "l'homme à la mesure de toute chose" -> braver les océans et prendre le risque de tomber au bord et surtout de le financer et d'en rendre des comptes-> découverte de nouveaux endroits et de nouvelles voies navigables -> progrès technique dans la navigation -> externalités de ces progrès techniques et fertilité croisée (style chronomètres et instruments de mesures qui ensuite sont utilisés pour d'autres types d'ingénierie...)
ce n'est qu'un parcours de l'arborescence, en réalité il y a d'autres branches, mais amha ça commence systématiquement avec "peste noire" puis "imprimerie" ou "peste noire" puis "sanitation"....
Si c'était uniquement le progrès technique qui déterminait cela, pourquoi cette effervescence n'a eu lieu qu'en Europe ? Ce qui a permis à ce continent de dominer le monde, d'imposer ses idées, ses administrations, son alphabet d'écriture, son alphabet musical et sa théorie.... ?
Il y a une théorie qui était assez à la mode vers 1950 et un peu oubliée depuis, qui met le projecteur sur la philosophie thomiste comme terreau intellectuel qui a, ou aurait, permis l'essort de l'Europe et de la pensée européenne entre #1220 et #1500 (Emile Bréhier...). Dans tous les systèmes philosophiques anciens, il y a un décalage important entre rationalité et vérité. Ces systèmes doutent fortement de la capacité des hommes a élaborer des édifices rationnels qui puissent aider à comprendre le monde, sauf pour des questions + ou - triviales liées au métier des charpentiers ou assimilé. En conséquence les réflexions philosophiques occidentales antérieurs au XIIIème siècle bottaient en touche très rapidement dés qu'on abordait le sujet de l'utilisation éventuelle de la raison pour essayer de comprendre le monde ("hybris"...). Le choc est venu du monde islamique, qui n'avait pas oublié Aristote, et dont les débats philosophiques internes concernant la bonne ou la mauvaise compréhension d'Aristote ont eu un écho, assez mal compris à l'origine, en France au début du XIIIème siècle ("averroisme latin"....). Après une période de débats assez vifs, la philosophie thomiste a émergé en occident entre 1220 et 1250, en mettant sur orbite l'idée que la rationalité (du charpentier..) est, ou serait une bonne chose, d'un point de vue théologique, si elle s'exerce à l'intérieur de domaines limités strictement à l'avance, par des théologiens, parce-qu'il s'agit, ou s'agirait d'un exercice propre à faciliter la vision du divin par les esprits qui ont passé un certain temps à exercer leur rationalité sur des trucs limités ou éventuellement insignifiants.
Cette vision favorable de la rationalité était nouvelle en occident et a, ou aurait, pavé la voie pour le développement d'une réflexion technique et/ou "scientifique" moderne (Newton....). Pour être complet, cette vision de l'articulation entre rationalité et intelligence, au sens étymologique, parait assez proche de la vision qu'en avait Ibn-Arabi à la même époque. La différence principale est probablement que ce point avait été considéré comme central dans la philosophie thomiste, ce qui a autorisé, et en fait mis à la mode, l'exercice de la raison en tant que gymnastique intellectuelle pour exercer l'esprit afin de l'aider à percevoir le révélé, alors que la philosophie islamique contemporaine était apparemment plus ambitieuse, et avait mis plus directement les projecteurs sur l'ésotérisme et/ou la "philosophia perennis".