Voici une question très intéressante. Je te remercie de l'avoir posée.Ystava a écrit : ↑24 oct. 2020, 14:03Ne connaissant pas mes classiques, je n'ai pas lu Balzac. Pourrais-tu expliciter le ressenti de tes rendez-vous chez le notaire ?ProfGrincheux a écrit : ↑23 oct. 2020, 08:48A chaque fois que je vais chez le notaire, j'ai l'impression d'être dans un roman de Balzac.
As-tu l'impression de jouer le rôle d'un citoyen déclassé face à la petite noblesse de robe
La réponse sera éminemment subjective, car elle dépend de la façon dont les souvenirs artistiques ou litteraires surgissent dans mon esprit dans certaines circonstances plus ou moins banales, ce qui m'aide à supporter l'ennui profond dans lequel elles me plongent.
Le notaire est un personnage important de La Comédie humaine. Celle ci presente entre autres une description des diverses classes sociales et notamment de la petite, moyenne et grande bourgeoisie de 1820-1830, Balzac insistant complaisamment sur les ressorts économiques et les diverses magouilles de la société de son temps .
L'institution centrale en est la propriété et c'est chez le notaire que s'opèrent les gros transferts de propriété et les successions.
Quelques exemples d'intervention du notaire chez Balzac parmi tant d'autres: Le Colonel Chabert commence par une scène de 50 pages qui décrit une étude de notaire et ouvre sur les facéties de clercs qui s'ennuient comme des rats morts. L'argument est qu'il s'agit d'un officier porté disparu des guerres napoléoniennes qui reparait 15 ans apres et dans un sale état au grand dam de son épouse en faveur de qui s'était réglée sa succession! L'étude du notaire qui s'appelle je crois Maitre Ronguin est un des lieux principaux ou se passe le drame. Le père Goriot est l'histoire d'une donation un peu trop précoce d'un riche commerçant à ses filles pour favoriser leur ascension sociale (je ne pense pas qu'il y ait de scène d'étude mais c'est implicite). Il y a d'autres notaires chez Balzac, donc un bien véreux dans César Birotteau si je me souviens bien.
Le rapport à la propriété n'a guère changé dans la société française depuis, le Code Civil etant toujours en vigueur.
Je suis allé chez le notaire pour une poignée d' achats ou ventes immobilières, et pour mon contrat de mariage. Même dans des études modernes informatisées on voit souvent des étagères de livres juridiques plus ou moins poussiereux et l'ennui des clercs est assez palpable. Celle ou j'ai signé mon achat en VEFA était assez dans son jus des années 60.
Le souvenir littéraire de l'étude du Colonel Chabert me revient immanquablement quand je suis chez le notaire . Une fois j'ai fait la remarque au notaire. Évidemment je ne lui rappelle pas que la figure du notaire chez Balzac est celle d'une sorte de croque-mort plus ou mieux véreux, en tous cas d'un vieux chnoque. Je ne lui dis pas non plus que dans la salle d'attente mon cerveau chante pour lui-même certaine chanson de Jacques Brel relative à la bourgeoisie, aux notaires et aux cochons.
Heureusement je n'ai pas encore eu à aller chez le notaire pour des affaires de succession. Ca viendra bien sans doute un jour, hélas. J'imagine que c'est comme un second enterrement.
D'ailleurs l'étude notariale est un des rares endroits, avec les églises pour les baptêmes, mariages et surtout les enterrements ou je suis prêt à mettre un costard voire une cravate.
Il y a pour moi un côté "cérémonial" dans la signature des actes notariés, j'ai plutôt l'impression d'être un fidèle lambda célébrant les mystères de la religion de la Propriété sous les auspices d'un prêtre de bien plus haut rang que les desservants du culte quotidien comme le boulanger et la caissière du supermarché . Comme je suis un mécréant, je les célèbre en n'y croyant qu'à moitié et en blasphémant silencieusement.
Balzac n'insiste pas sur cet aspect, même si sa façon de présenter les choses triviales en ne faisant grâce d'aucun détail en fait parfois des hallucinations.
Le titre La Comédie Humaine fait référence à La Divine Comédie et c'est une lecture possible des scènes d'étude notariale chez Balzac de les envisager comme une des bolges d'un des cercles de l'Enfer. Lire Balzac ainsi le rend tout de suite moins soporifique.