En ce moment, l'économie semble repartir un peu, ce qui permet à tous ceux qui y ont intérêt de faire croire au début d'un nouveau cycle de croissance. Or ceux des économistes qui ont l'air plus intelligents que les autres (étant moi-même béotien la matière, j'ai du mal à juger vraiment) affirment que nous terminons seulement la phase de chute d'une crise en L qui sera durable, et que ce que nous vivons n'est qu'un "rebond technique".
Oui mais un rebond technique c'est quoi? C'est ce que j'ai cherché à comprendre ici.
J. Depla nous en disait un peu plus dans l'excellente interview dénichée par Pangloss :
viewtopic.php?p=760549#p760549
...donc, l’idée c’est qu’on aurait, par la forte récession de 2008 et 2009, apuré le système ; et après ce choc-là, en 2010, il y aurait un rebond, ce qui arrive toujours après une période de récession ; mais c’est un rebond technique, c’est-à-dire que, vous prenez le secteur automobile ou toute l’industrie manufacturière qui abaissé de moitié, il n’y a pas de raison qu’elle reste là, et donc il y a des histoires de stocks, des gens qui différaient leurs achats, le font en 2009 et donc, vous avez une production industrielle, qui a été divisée par deux, grosso modo dans le monde, depuis un an. Et donc il suffit que ça monte derrière de 10 ou 20%, on reviendrait absolument pas au niveau d’avant la crise, mais rien qu’avec ça vous êtes assuré d’une bonne croissance en 2010, ça peut être encore le cas en 2011.
Le rebond technique ce serait donc :


Cherchons donc à mieux comprendre comment les effets de déstockage fonctionnent lors d'une crise de demande, et comment ils peuvent provoquer un rebond temporaire de l'économie. Pour cela, rien de mieux qu'un exemple : situons-le comme nous y incite J. Depla dans l'industrie automobile.
CAS D'ECOLE D'UNE USINE AUTOMOBILE : COMMENT UNE CRISE DE DEMANDE EN L PROVOQUE ENSUITE UN REBOND TECHNIQUE
Imaginons donc que vous êtes directeur d'une usine automobile, dont, pour illustrer avec des ordres de grandeur courant dans le secteur, la production est organisée ainsi :
- production mensuelle = base 100 avant la crise
- taux de salariés précaires (CDD) = 30%
- stock courant = 2 mois de production (il s'agit des stocks situés dans les usines, des produits en transit, des stocks des centres d'approvisionnement régionaux, des concessions, etc)
Vous devez gérer une crise de demande exogène, brutale et durable de -20% (c'est la chute des ventes constatée au T4 2008 en Europe).
Votre problème immédiat est que votre stock de 2 mois de production soit 200 est subitement passé à 200/80=2,5 mois.
La réaction optimale d'un point de vue de la gestion du stock serait donc de fermer l'usine 2 semaines, puis de reprendre la production à 80% (en ajustant le taux de salariés précaires).
Pour plein de raisons (techniques, économiques, sociales), vous ne pouvez pas gérer les choses de façon aussi brutale. En particulier, vous allez essayer de jouer au maximum sur le non-renouvellement des CDD (qui ne vous coûte rien, c'est fait pour ça), et au minimum sur le chômage technique (qui lui vous coûte une partie du salaire à indemniser).
La production peut alors être réorganisée ainsi :
- arrêt des contrats précaires => votre capacité passe à 70/mois
- 2 jours d'arrêt de production / mois => on descend à environ 63/mois
A ce rythme là, il vous faut environ 2 mois 1/2 pour résorber votre excédent de stock de 40, avant de reprendre la production à 80%.
En pratique c'est encore plus long car :
o vous ne réagissez pas immédiatement
o même les contrats précaires ont une durée, qui peut aller jusqu'à 6 mois
o c'est la crise, et vous avez difficilement accès au crédit, donc vous souhaitez libérer un peu de cash en gérant vos stock au plus juste
Imaginons que vous mettiez un mois à réagir, plus deux mois en moyenne à arrêter vos contrats précaires, et que vous souhaitiez revenir à 1,5 mois de stock au lieu de 2 mois. L'excédent de stock à résorber n'est plus alors de 40 mais de 40+20+40+40=140.
Vous pourriez alors plutôt décider :
o l'arrêt des contrats précaires => votre capacité passe à 70/mois
o 4 jours d'arrêt de production / mois => on descend à environ 57/mois
A ce rythme là, il vous faut environ 6 mois pour résorber votre excédent de stock de 140, avant de reprendre la production à 80%.
En quoi consiste le rebond?
o Il s'agit d'un rebond de la production, qui a quasiment été divisée par 2 pendant 6 mois, puis revient à seulement -20% du départ, soit en écart semestriel : -43% puis +40%
Pourquoi parler de rebond technique?
o ce rebond n'est lié qu'au mécanisme de gestion des stock, en réaction à une cause invariante
o il ne s'agit que d'un phénomène d'ajustement conjoncturel, mais aucun problème structurel n'est réglé : vous avez géré le cash au mieux et évité la faillite, mais avec 80% de taux d'utilisation vous n'êtes plus rentable
o vous aller donc chercher à vous restructurer pour retrouver la situation de départ (100% d'utilisation et 30% d'intérim) dans les mois/années qui viennent : à terme vous réduirez votre capacité en détruisant des emplois, ou encore la maison mère fermera 1 usine sur 5, etc
Quels sont les impacts macro-économique ?
o Vous êtes probablement un gros employeur de la région, le niveau de votre production a des impacts sur la production de vos sous-traitants et les revenus de beaucoup ménages, et donc sur toute l'économie locale.
Or pendant la phase d'ajustement vous avez sur-réagi en baissant votre production à -43% en réponse à une baisse de demande de -20%, amplifiant ainsi les impact macro-économique par rapport à la cause de départ. On peut même imaginer que certains habitants de la région ont annulé un achat de voiture à cause de ça, créant ainsi un bouclage qui renforce encore la crise de demande que vous subissez. Au moment de la reprise de la production, ce phénomène disparaît et vos ventes vont rebondir un peu avant de se stabiliser aux -20% du départ.
Les observateurs constatent que les ventes repartent, que le chômage diminue, que le PIB local rebondit, etc, mais c'est juste du rattrapage dans ce cas.[/color]
A retenir :
o En réponse à une crise de demande exogène et durable, les industries ont une réactivité de diplodocus, qui les amène à temporairement diminuer leur production dans des proportions supérieure à la baisse de demande, le temps d'écouler les stocks invendus
o Par bouclage macro-économique, cela amplifie la crise (chômage, croissance), y compris la baisse de demande structurelle, à laquelle s'ajoute temporairement une baisse de demande conjoncturelle
o Les seuls indicateurs fiables pour discriminer le rebond technique qui en découle d'une vrai reprise (disparition de la crise de demande exogène) sont les taux d'utilisation des capacités de production et le retour à la rentabilité des entreprises.
SECTEUR AUTOMOBILE : CE QUI SE PASSE DANS LE MONDE REEL (EUROPE)
Le déstockage a eu lieu entre 2008_S2 et 2009_S1
Voici les évolutions de ventes/stock des 3 principaux constructeurs européens:
(source : rapports de résultat des constructeurs)


Le phénomène de déstockage est net chez PSA et Renault,un peu moins chez VW qui a beaucoup mois souffert de la crise en particulier grâce aux importantes primes à la casse allemandes (2500€).
Le déstockage est maintenant terminé :
VW,qui ne fait pas de pertes, et cherche plutôt à gagner des part de marché (Communiqué de presse 30/07/2009)
PSA : "Le niveau des stocks a atteint un niveau normal." (Communiqué de presse 29/07/2009)
Renault annonce avoir atteint 80% de son objectif de réduction des stocks sur 2009 (Présentation des résultats 2009_S2 p30)
Nous sommes donc bien en plein rebond technique lié à la fin du déstockage
Les capacités de productions sont en sous-utilisation
Je n'ai pas trouvé de statistiques propres à l'automobile, mais en voici l'évolution pour l'ensemble de l'industrie :
(source Eurostat)

Concernant spécifiquement l'automobile, la chute attendue du marché Européen est de 14% en 2009 (avec les primes gouvernementales). On ne doit pas se tromper de beaucoup en estimant que ça correspond à la fermeture de 4 usines en Europe, même si en pratique, les constructeurs préfèreront pour des raisons d'image restructurer localement chaque site (fermeture d'une ligne de production sur deux, nouvelles lignes investies à capacité moindre) que d'en fermer un complètement, mais il y aura encore beaucoup de fermeture chez les sous-traitants
La surcapacité est évoquée officiellement par les constructeurs en France :
AFP - 06.08.2009 - De Thibault LE GRAND - Lien
La production automobile française, déjà ralentie depuis plusieurs années, a encore fortement réduit la cadence avec la crise, suscitant des interrogations sur le maintien de toutes les capacités d'assemblage en France.
Le taux d'utilisation des usines s'élevait à "environ 80% avant la crise", il est désormais "inférieur à 60%", note Yann Lacroix, directeur des études sectorielles chez l'assureur Heuler Hermes SFAC.
[...]Toute l'Europe souffre de "surcapacités de production", soulignait dernièrement son PDG [de PSA], Philippe Varin.
Les constructeurs ont d'ailleurs déjà "discrètement" réduit la voilure, note M. Lacroix, citant l'exemple de l'usine Renault de Flins.
[...], "la tendance est au 'compactage' des usines, une réduction physique de la taille des usines pour être plus compétitif", qui s'accompagne de "réduction des capacités, sans que les deux soient forcément liées", reconnaît un porte-parole de PSA.
Personne ne sait quand les constructeurs seront à nouveau tous rentables
Volkswagen qui n'est pas déficitaire, n'anticipe pas de pertes en 2009, mais ne se prononce pas sur la suite.
Ni PSA ni Renault ne voient le bout du tunnel. M. Varin et Gosn communiquent tout au plus sur le fait qu'ils ne voient pas de reprise avant 2011, sans indiquer de quoi elle pourrait bien venir.
Implicitement, cela signifie que les perspectives à moyen-terme ne justifient en rien de différer la réduction des capacités de production déjà engagée, en particulier chez les sous-traitants : il y aura encore beaucoup de 'New Fabris'.
CONCLUSION PERSONNELLE:
Les bonnes nouvelles de l'été sont naturelles, et il y en aura encore, car l'économie ne peut que rebondir un peu après une chute pareille, mais les choses sérieuses ne font que commencer.